Tyler Cross
: Fabien Nury (scénario) et Brüno (dessin)
Dargaud
2013
Sommaire de l'article
Résumé de la BD:
braquage qui tourne mal, une fuite qui tourne court, une femme qui
tourne les têtes et au milieu de tout cela, Tyler Cross, tueur à
sang-froid. Nous sommes dans les années cinquante, dans le sud des
états-unis, au Texas plus précisément, où le soleil cogne plus
fort que les hommes, et où le venin n’est pas craché uniquement par
les serpents.
Mon
avis :
Cross a tout du bon vieux polar des années cinquante mais Fabien
Nury sait détourner les codes qu’il adore et dans lesquels il puise
allègrement. Point de détective privé, point de New-York pluvieux,
point de crimes à résoudre. Là, les crimes, c’est Tyler Cross qui
les commet ! Le détective a laissé la place à un dangereux tueur.
Quant à la pluie, elle est remplacée par un lourd soleil de plomb,
ce même soleil qui rappelle le Chinatown de Polanski.
fait, cette petite ville au milieu de nulle part qui accueille
involontairement Tyler nous replace même dans une ambiance presque
Western qui renvoie sans honte à des films récents comme Last ManStanding lui-même adaptation d’un western avec ce bon vieux Clint bien connu
de tous !
qui dit Western dit règlement de comptes, le tout saupoudré d’une
bonne dose d’humour noir.
vous vois venir, vous vous dites donc, « Ah ben avec toutes ces
références ciné et polar, c’est un grand hommage aux vieux films
noirs de mon enfance. » Et bien pas seulement, car les cartons
de textes nous plongent au cœur du roman noir. Alors les fans de
Ellroy ne seront pas déçus.
le contre pied et donnant la parole à un narrateur inconnu et
omniscient, qui parfois cède la place à d’autres voix (je vous
laisse la surprise de découvrir les premiers mots de « Chéri »),
Fabien Nury casse le code de la BD pour adopter celui du roman. Ces
encarts descriptifs posent une ambiance, un style littéraire
totalement assumé, qui sont un régal pour le lecteur.
les obstacles qui frappent Tyler Cross sont prévisibles en suivant
la loi de Murphy, on n’en prend pas moins plaisir à voir comment le
héros parvient – ou pas – à les surmonter. Et tout cela pour
nous amener à une fin digne d’un roman noir.
les personnages sont un peu archétypaux, comprenez que les lâches
sont vraiment lâches, les ordures de magnifiques ordures et les
loosers des vrais loosers. Mais on notera que parmi ces archétypes,
il y en a un qui est passé à la trappe, celui du bon gars, le
héros, le généreux, le pur et dur. Car si Tyler Cross est dur, il
n’a rien d’un pur !
personnage qui évolue le plus est sans doute celui de Stella, jeune
fille innocente perdue dans une ville dont les enjeux la dépassent,
amenée à évoluer avec les événements fous que Tyler va provoquer
à Black Rock – rien que ce nom…- .
Toute
cette noirceur est mise en image avec talent par Brüno. Les
personnages sont stylisés, loin d’un dessin réaliste. Cette patte
convient parfaitement aux archétypes qui se dessinent. Mais les
hommes et les femmes qui traversent cette BD n’en restent pas moins
expressifs avec ces yeux blancs dépourvus souvent de pupilles qui
font parfois frissonner.
décors sont tracés à l’image des personnages, stylisés également,
mais facilement identifiables.
où la BD va encore plus loin, c’est avec le travail des couleurs
effectuée par Laurence Lacroix. Les teintes qui s’abattent sur
l’univers de Tyler Cross posent non pas une réalité, mais au
contraire une subjectivité marquée. Elles illustrent une ambiance,
une émotion et si elles permettent de donner une présence à un
lieu, elles peuvent basculer dans une autre palette suite à un
retournement de situation ou juste pour marquer un changement de
point de vue. Ce choix s’adapte d’une part aux choix graphique imposé
par Brüno mais aussi à la narration de Nury. Il permet aussi
d’apporter quelque chose que le roman noir ne peut laisser
transparaître et que le cinéma aurait également du mal à rendre.
Ainsi Tyler Cross prend tout son sens à être une BD plus qu’un
roman ou un film.
cadrage prend toute l’ampleur nécessaire pour nous emmener sur les
traces de Tyler. Les cases font souvent la largeur de la page, tout
en étant peu hautes, puisqu’elles peuvent cohabiter en six bandes
sur une page. Cela recrée l’effet cinémascope et permet de
travailler la mise en scène. A côté de ces moments, elles suivent
un découpage de trois à six bandes composée de une à cinq cases.
Le découpage apporte un dynamisme, pouvant ralentir l’action en la
ciselant en de nombreuses cases ou bien accélérer le mouvement avec
une case unique pour faire saisir toute une situation.
cadrage alterne les plans serrés et les plans larges et se permet
aussi d’amener savamment quelques gros plans bien efficaces. L’usage
de l’amorce, des contre-plongées, permet de faire monter la tension
de l’histoire et, connaissant la passion de Fabien Nury pour le roman
noir, on se doute que la mise en scène comporte quelques clins d’œil
à ses œuvres fétiches.
L’exposition Tyler Cross à Angoulême
montée à Angoulême sur le travail de Fabien Nury comme scénariste
BD nous permet de mieux comprendre son travail.
rez-de-chaussée de l’espace Franquin, nous parcourons sa carrière
au travers de planches originales complétées parfois par un morceau
de story-board, d’autres fois par un extrait du scénario et surtout,
pour chaque planche, des commentaires écrits de Fabien Nury mais
aussi des dessinateurs avec lesquels il a travaillé.
on avance dans cette grande pièce, plus on se rend compte de la
diversité de l’œuvre de ce scénariste, qu’il ne faut pas réduire
à son amour du roman noir et à Tyler Cross ! Même si, dans le
cadre de cette chronique, c’est un peu ce qui nous intéresse…
ne boudons pas notre plaisir à prendre connaissance d’autres œuvres
et des nombreux dessinateurs qui ont collaboré avec Fabien.
découvre en premier la série « W.E.S.T. » co-écrite
avec Xavier Dorison et dessinée par Christian Rossi.
des planches d’un épisode de « XIII Mystery » illustrée
par Fabien Guérineau, suivi la « Mort de Staline »
dessinée par Thierry Robin. Nous arrivons alors à la première
collaboration de Fabien avec Brüno, « Atar Gull »,
adaptation d’un roman peu connu d’Eugène Sue.
enchaînons avec notre Tyler Cross.
déjà, la présentation de l’inspiration cinéma de la couverture de la BD (voyez en début d’article) pose l’ambiance.
visite nous offre une petite pause devant un mur de couvertures. Puis
nous reprenons avec « Il était une Fois en France » mise
en image par Sylvain Vallée.
est « L’Or et le Sang », dessinée par Fabien Bedouel et
Merwan Chabane et coécrite avec Maurin Delfrance.
oublier « Silas Corey » dessiné par Pierre Alary, qui
avait un beau portrait en pied ornant la colonne de la salle !
la fin de l’exposition est la plus étonnante : étalée dans une
vitrine, toutes les sources d’inspiration de Fabien, roman et films !
Le tout complété par un lexique et un retour sur sa production. Là,
on se rend compte que l’exposition ne donnait à voir qu’une partie
de l’œuvre de l’auteur.
cela ne tienne, j’ai eu la possibilité d’entendre Fabien Nury
s’exprimer lors d’une conférence se déroulant… à l’espace
Franquin – le monde est petit -. Mais il a dormi là-bas,
pensez-vous ? Que nenni non point les amis, j’ai fait des
aller-retours avec les autres lieux emblématiques du festival mais
je vous réserve cela pour d’autres articles !
de digressions, replongeons-nous un peu dans cette conférence.
avoir parcouru l’œuvre – ou tout du moins une partie – de
scénariste de Fabien Nury, nous arrivons à Tyler Cross – après
tout, la raison d’être de cet article ! -.
parle du début de sa collaboration avec Brüno sur « Atar
Gull » – le bien nommé ? Mystère à creuser – puis du travail effectué sur Tyler. Se basant sur une planche, il
explique que la grande question est de savoir à quelle vitesse le
lecteur va lire la planche. « C’est le rythme qui active votre
attention ! ». Tyler Cross est certes inspiré du cinéma par
le découpage de ses planches mais il tire surtout ses sources du
roman noir avec ses encarts narratifs à la troisième personne –
Ah ! Je vous l’avais dit -. Ses références sont William Burnett,
Dashiel Hammett qui lança les romans de type Hard-boiled (des infos ici) ou encore Stark – pseudonyme de Donald Westlake) pour sa série de livres autour du détective Parker – !
la question de comment ces références s’insèrent dans la BD,
Fabien répond « Naturellement ».
raconte qu’il a été forgé par la BD et le roman noir. Des
références, il en a tout le temps ! Il doit juste réfléchir et
choisir les bonnes à insérer dans l’histoire, même si elles
paraissent imperceptibles pour ceux qui n’ont pas la même culture
ciné-livresque noire que lui.
nouvelle question tombe alors sur la ressemblance entre Tyler Cross
et… Jack Palance ! Fabien assume totalement. Brüno pensait plutôt
à un Charles Bronson mais ça ne collait pas. Ils sont alors
remontés dans le temps jusqu’à… Jack – à découvrir dans ce
trailer -.
au serpent qui s’exprime par le narratif, c’est une référence à
Donald Westlake !
voyage continue alors dans d’autres scénarios de Fabien et pour
conclure, en parlant de ses relations avec le dessinateur, il nous
explique :
on fait des compromis, il faut sérieusement prévoir d’arrêter la
collaboration. Mais si en travaillant ensemble, on crève des
plafonds, on progresse, on améliore les choses, alors il faut
continuer ! »
conclusion de cet article, et belle manière de vous conseiller
d’aller Lire Tyler Cross, sachant que le Tome 2 est actuellement en
préparation…
rencontre Tyler Cross…