Titre : Voyage aux îles de la désolation
Éditeur : Futuropolis
Auteur : Emmanuel Lepage
Année: 2011
Bienvenue à bord du Marion Dufresne, navire tout particulier, à la fois paquebot, pétrolier, porte-conteneurs et navire océanographique. Sa mission ? Ravitailler les bases des terres australes, où vivent, coupés du reste du monde, éloignés de nos villes et de nos continents, là où aucun avion ne peut se poser, des scientifiques passionnés, des météorologistes chevronnés qui, ostracisés sur des terres pas toujours aussi accueillantes que fascinantes, ont placé leur vie entre les mains de l’équipage du navire qui les ravitaille. Par les yeux d’Emmanuel Lepage, rare artiste a avoir obtenu le droit de suivre toute la traversée, périlleuse et extrême dans ces coins du monde que l’Homme n’a pas encore su dompter, c’est la vie sur les coursives, les angoisses sur le pont, les mauvais jours de navigation et les humeurs du ciel que chacun peut vivre, comme une prise de conscience de ce qui n’est pas toujours une évidence : ce sont les vagues qui décideront.
Il y a du génie en cet ouvrage. Le trait est fort, grandiose et touchant tout à la fois. Emmanuel Lepage est à mon sens l’un des auteurs de BD qui a su le mieux dompter de son pinceau la mer. Son approche est unique, chaque vignette est un tableau, qui se contemple presque indépendamment. Les pris-sur-le-vif sont admirables, la finesse de l’écume est troublante de réalisme. Sur les 157 pages d’un voyage riche, Lepage a su varier au grés des humeurs de la mer ses techniques, mêlant les cases à l’encre de Chine, aux tableaux acryliques en passant par des aquarelles somptueuses, des traits robustes au fusain ou des pastels maîtrisés, nous prouvant tout à la fois qu’il est un artiste accompli et donnant tout son sens et toute sa forme au carnet de voyage qu’il constitue ainsi. Car la richesse des variations renforce l’impression de voyage que la beauté de son travail fournissait déjà. Précis, il relate chaque émotion avec soin et avec le plus d’honnêteté possible. Il mêle les rêveries de promeneur solitaire aux instants d’actions, d’adrénaline, il sait transmettre la ferveur des marins, le courage de ceux qui mènent les opérations, la stupéfaction béate face aux paysages qu’on s’imaginent, qu’on se représentent, mais dont on est incapables de soupçonner la vraie réalité, la crainte de la vague de trop, l’admiration des ostracisés, la solitude du marin, entouré de cent autres et qui pourtant se sent seul dans l’immensité, le retour à l’enfance de celui qui redécouvre ses rêves de pirates.
C’est ce pêle-mêle d’émotions, relaté avec sincérité, sans fard, sans artifices, juste accompagné du somptueux de ses dessins, qui finira de nous prendre aux tripes. Si Emmanuel Lepage avait été peintre de la Marine, il aurait excellé justement parce que Voyage Aux Îles de La Désolation, ce peut être une BD qui se lit, qui se regarde, qui se savoure, mais c’est surtout une BD qui se vit, parce qu’elle a été vécu avant que nous ne la vivions nous-mêmes, un témoignage de la grandeur de l’homme, face à l’immensité et l’omnipuissance d’un océan qui gagne toujours mais qu’on n’avouera jamais vainqueur.