jeudi 28 mars 2024

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Pays de Neige – la chronique blanche !

Couverture de Pays de Neige, de Sakuko  d'après Yasunari Kawabata chez Philippe picquier
Titre:
Pays de Neige

Auteurs :
Sakuko Utsugi (adaptation et dessin), d’après le roman de Yasunari
Kawabata

Editeur :
Philippe Picquier

collection
: manga

Année :
2016

Pages
: 192





Résumé :

Shimamura,
jeune rentier, se rend au Pays de Neige. Dans le train, il repère
une belle femme qui s’occupe d’un malade. Devant le reflet dans la
vitre des gestes et du visage de la jeune damoiselle se superposant
avec la neige tombant à l’extérieur du train, Shimamura laisse
voguer son imagination : Qui est-elle ? Pourquoi s’occupe-t-elle de
cet homme ? Et lui, qui est-il ? Un autre souvenir remonte à sa
mémoire, celui d’une jeune femme portant un magnifique kimono. Non,
Shimamura ne vient pas au Pays de Neige, en réalité, il y revient.
Et pour quelle raison ?





Mon
avis :

Voilà
donc l’adaptation d’un roman poétiquement intitulé « Pays de
Neige » écrit par Yasunari Kawabata. Cet auteur Japonais, né
en 1899, a décidé de nous quitter en 1972. Il aura marqué de son
vivant la littérature nippone mais aussi mondiale, son talent lui
valant le prix Nobel de littérature en 1968.

« Pays
de Neige » sortit en 1935 dans une première édition qu’il
modifiera plusieurs fois jusqu’à obtenir la version qui sera éditée
en 1947.

C’est
donc à un monument de la littérature que s’est attaqué le mangaka
Sakuko Utsugi, l’auteur, entre autres, de « Déclic Sensuel ».

L’adaptation
est un art difficile et Utsugi a fait le choix, nous explique
l’éditeur – n’ayant pas lu le roman original, je ne peux vous
donner mon ressenti là-dessus – d’utiliser la prose de Kawabata
pour tous les textes.

Par
contre, passée la présentation classique des personnages sur une
première double page, dès les premières cases, j’ai ressenti les
volutes d’un style poétique, je me suis laissé doucement glisser
dans un monde particulier suivant les mots du narrateur. J’ai pris
beaucoup de plaisir à lire cette BD. La poésie qui émanent de
certaines phrases fonctionne à merveille. On part, tout de suite,
dans ce pays blanc.

Bon,
dans la présentation des protagonistes, il en est un qui a un rôle
si infime que je ne vois pas l’intérêt de le présenter dès le
départ mais ceci n’est qu’un détail.


Si
la magie du style parcourt dans un souffle tout ce recueil,
l’histoire de prime abord classique d’un triangle amoureux prend une
autre direction. Au lieu de tout nous raconter, elle laisse de grands
blancs – sans doute dû à l’influence du Pays de Neige -, que nous
aurons à remplir seuls.

Du
coup, la fin de l’histoire risque de vous surprendre car beaucoup de
questions restent en suspens. Puis, après un temps de réflexion,
passée la stupeur, je me suis pris à revenir en arrière, cherchant
une solution dans une expression, un regard, un mot. N’étant pas sûr
de trouver quoique ce soit, à l’image de Shimamura, notre témoin,
narrateur de ce roman. Effectivement, nous comprenons très bien le
jeune homme car nous suivons les événements avec son regard mais
Komako, la geisha qui est tombée amoureuse de lui, Yoko, l’autre
jeune femme de l’histoire, vues par Shimamura, nous restent
finalement étrangères. Comme lui, nous croyons entrevoir leur
personnalité, alors qu’en fait, rien n’est moins sûr…

L’histoire
illustre bien l’idée qu’on peut imaginer tout ce qu’on veut sur les
gens, on peut partager nos rêves, nos désirs, notre corps avec eux,
on ne les connaît jamais vraiment. Et même, on ne les connaîtra
jamais vraiment, pour la simple raison qu’on ne sera jamais dans leur
tête.

Au
rythme non pas des saisons mais des années qui passent, Shimamura
s’en va et s’en vient dans ce pays qui laisse sur lui une empreinte
indélébile, l’empreinte de Komako. Nous allons et venons avec lui,
à un petit détail près, si Shimamura bouge, le récit reste fixé
au Pays de Neige. Jamais nous ne voyons Tokyo avec Shimamura et
d’ailleurs, jamais nous ne voyons sa femme et ses enfants. Nous
savons qu’ils existent car parfois, une pensée les ramène à lui
mais c’est tout.

Le
roman (et le manga du coup) porte bien son nom. « Pays de
Neige », pays où a commencé l’histoire avant qu’on n’entre
dans le livre, pays où se finira l’histoire après qu’on soit sorti
du livre.

Nous,
pauvres lecteurs, sommes condamnés à supputer les clés, les
causes, les raisons sans jamais être certains de la réponse. Cette
romance amoureuse qui dans son résumé peut paraître bluette nous
ramène en vérité à l’essence de ce que nous vivons tous les jours
en l’oubliant : L’autre restera toujours un mystère ou au mieux,
gardera toujours en lui une part de mystère pour nous, qu’on efface
en se disant qu’on a bien compris comment il ou elle voit le monde ou
bien qu’après tant de temps, on se connaît sur le bout des doigts,
mais en fait…


Page extraite de Pays de Neige, de Sakuko  d'après Yasunari Kawabata chez Philippe picquier

Première vision du Pays de Neige


Utsugi
a choisi de suivre la narration du roman, mais tout le travail de
mise en image, de mise en scène même relève de ses choix.

Le
style des personnages et des décors est typiquement manga. Quand
Komako boit trop, l’excuse de l’ivresse permet à l’auteur de
caricaturer les traits des personnages, techniques qu’on retrouve
également dans bien d’autres mangas. Cela amène un peu d’humour,
mais pour moi, ce sont les moments où le dessin me sort de
l’histoire. Heureusement, le rythme de la narration m’y ramène assez
rapidement.

Les
scènes d’amour entre Shimamura et Komako sont très épurées, le
couple s’enlace, s’allonge, la tension érotique est là, suggérée
par un geste, une caresse.

La
composition rappelle aussi le dynamisme des mangas mais dans ce récit
posé, elle peut surprendre. Les cases se chevauchent, s’entrelacent,
les personnages débordent sur les cases voisines. Un regard, deux
mains serrées s’étalent entre deux bandes. Toute la composition des
cases lie les différents dessins entre eux. Un peu comme Shimamura
et Komako se lient tout au long du récit, malgré les disputes ou
les réactions trop vives. Mais ce choix garde tout de même la
simplicité de la lecture (surtout si vous êtes habitué à lire des
manga de droite à gauche).

Le
noir et blanc habituel des BD nippones s’applique ici, permettant à
la délicatesse du trait d’Utsugi de ressortir d’autant plus. 
Page extraite de Pays de Neige, de Sakuko  d'après Yasunari Kawabata chez Philippe picquier
 Shimamura retrouve Komako…
 


cette
BD m’a donné envie d’aller lire le roman original. C’est en
ressentant cela que je pense pouvoir dire qu’une adaptation est
réussie !

« Pays
de neige » vous offre un voyage aéré au pays d’un amour
impossible, où ce qui ne se dit pas est parfois plus important que
tout ce qui se dit. Un amour impossible qui parvient à garder sa
part de mystère…





Zéda
et Komako !



"Pays de Pluie", strip de Zéda pour illustrer chronique 7BD sur Pays de Neige, de Sakuko  d'après Yasunari Kawabata chez Philippe picquier




David

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David
Davidhttp://www.davidneau.fr
Scénariste pour le jeu vidéo, le podcast et le cinéma, auteur-réalisateur de court-métrages animés, auteur dessinateur la BD numérique "Zéda, l'Odyssée du quotidien", enseignant à l'ICAN en BD numérique, et chroniqueur BD bien spûr. Sans oublier passionné de musique et de... BD ! Tout est dit.

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