jeudi 10 octobre 2024

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Rencontre avec Lupano et Cauuet pour Les Vieux fourneaux T1: Ceux qui restent



C’est le printemps, oui, depuis le mois
dernier d’ailleurs ! Bon, je reprends ma copie. C’est Pâques ? Pas
encore, en tout cas, le pâques des œufs et du repas de famille,
c’est la semaine prochaine ! Bon… Les vacances de Pâques ? Pas
mal, mais peut mieux faire.

D’accord, je profite donc du manque de
convivialité du calendrier pour aller rencontrer Wilfrid Lupano et Paul Cauuet (avant de cliquer, cher lecteur, sache que la dernière mise à jour
de son blog date de 2011) pour une nouvelle rencontre organisée par
Dargaud !

En effet, ces deux amis de dix ans ont
sorti une BD « Les Vieux Fourneaux » dont le premier tome
s’intitule sobrement « Ceux qui restent ».



L’histoire raconte les retrouvailles de
trois vieux amis, Antoine, Pierrot et Mimile, tous
quasi-octagénaires, à l’occasion du décès de Lucette, la femme
d’Antoine. Ces retrouvailles, qui se déroulent dans leur vieux
village d’enfance – car les trois taquins se connaissent depuis leur
prime jeunesse – vont prendre une direction inattendue, la toscane
! Avec pour compagnie la petite-fille d’Antoine, enceinte de sept
mois.

Ce périple va permettre de comprendre
quelles furent leur vie, leurs choix et leurs engagements. Une
odyssée cocasse qui, à travers les regards de ces quatre
personnages, nous offre de beaux moments tout aussi drôles que
tendres.




Et devant nous, assis à une petite
table, les deux auteurs disponibles pour nous raconter l’envers du
décor…

Par rapport à leur collaboration
précédente, « L’honneur des Tzarom » paru chez Delcourt, « Les Vieux Fourneaux » a représenté un vrai virage.
Partant de l’envie commune de faire un projet plus personnel, Lupano
et Cauuet ont réfléchi chacun de leur côté. Quand ils se ont
échangé les fruits de leur réflexion, il en est ressorti un point
commun : l’idée de parler de la génération de leurs grand-parents.
Des gens nés dans le milieu des années trente, qui ont connu une
guerre mondiale et tous les bouleversements de la société qui ont
suivi – et Dieu sait qu’il y en a eu -, de l’après-guerre à
aujourd’hui ! Le choix des auteurs s’est orienté sur des personnes
issues d’un milieu populaire, avec le langage et les expressions de
ces périodes-là qui affleurent à tour de bras dans le recueil. Qui
ne se souviendra pas de Pierrot lâchant « J’en ai connu des
pompes à vélo mais alors lui ! ». Et puis, cela changeait des
visages lisses et des personnages jeunes en découverte du monde.



Outre la joie de creuser le bon filon
avec ces protagonistes âgés – un créneau peu exploré en BD –
Lupano explique que ce fut aussi un bonheur de scénariste ! Il a pu
balayer l’histoire de la France, faire naître ses intrigues dans les
moments forts de la vie de ses héros et explorer différentes
époques. Le panel s’est encore élargi après avoir décidé que
Mimile serait un marin au long cours, Pierrot un citadin et Antoine
un campagnard ! Ouverture d’univers différents et afférents par
leur lien d’amitié.

Lupano sait qu’il lui faut, une fois
qu’il a défini où il va, un à deux mois pour parvenir à un
scénario paginé, découpé et dialogué. Il a opté pour un ton
doux-amer car à ses yeux, l’âge des personnages s’y prête. Il voit
la vieillesse comme un moment de la vie où tout s’accélère, où
l’on se trouve plus proche de la fin que du début, un âge tragique
avec un potentiel comique. En effet, « qui ne s’est jamais
moqué du décalage de ses grand-parents avec la réalité
d’aujourd’hui ? » lance Cauuet. De plus, pour apporter un
regard différent, Lupano a créé Sophie, future maman, électron
libre qui équilibre la balance entre nos trois vieux routards.

Le dessin fut source de nouveaux défis
pour Cauuet. Il commença par explorer « la grammaire des
vieux », dessiner les visages, chercher où et comment se
forment les rides, prêter attention à tous les seniors qu’il
croisait.

Il alla aussi puiser l’inspiration
ailleurs. Partant des acteurs Français tels Jean Rochefort ou Jean-Pierre Marielle (dans l’extrait en duo, plutôt jeune, pour les Grands ducs de Leconte),
pour aller jusqu’à Là-haut
(quel dessin animé !)
de Pixar ou encore les Triplettes de Belleville
(magie du scat)
de Sylvain Chomet, le tout en passant par Grosland
(un extrait approprié)
– si si – et même par le père d’Homer Simpson
(qui se souvient de son nom ?)
!

En tout cas, cela donna lieu à des
pages et de pages de recherche graphique avant de trouver un résultat
intéressant. Et même dans le premier tome, les visages évoluent
encore.

Les deux amis se sont rendus compte que
les corps n’encaissaient pas le temps de la même manière. Celui-ci
est voûté avant la retraite, celui-là droit et fringant à
quatre-vingt ans, ce troisième est encore en forme à soixante-dix
ans. Au final, Cauuet s’est aperçu après les avoir créé que ses
personnages lui rappelaient des gens qu’il connaissait. Par exemple,
pour lui, Pierrot a quelque chose de Moebius avec son crâne dégarni, son nez partant vers l’avant et ses
lunettes ! Comparez donc la couverture de l’album avec la photo, moi, je trouve
que c’est plutôt Antoine qui a un véritable air de famille avec
notre Giraud préféré…



Après les personnages, la tâche du
dessinateur n’était pas remplie pour autant, ce fut le moment de se
frotter aux décors. Cauuet découvre que les choses sont bien moins
simples qu’elles n’y paraissent. Le dessin d’un rond-point inclut les
feux, la signalisation au sol, les décors centraux, les voitures et
tout un tas de détails auxquels on ne pense pas du premier coup.
Pour les maisons, il s’est (librement) inspiré de lieux qu’il
connaissait. Heureusement, les sources de renseignements étaient
tout autour de lui pour ce monde contemporain, quant aux les parties
historiques, le site de l’INA fut une aide précieuse.

Cauuet en a profité pour essayer de
nouvelles choses, tenter les ombres, le noir, délier son trait. Tout
un travail effectué sur son dessin, en plus de ses recherches. La
barre a été haut placée.


Tant de travail, mais pour un résultat impressionnant



Puis, avides de réalisme, nos deux
compères sont partis refaire en voiture le trajet qu’ils imaginaient
pour leur héros : de Toulouse à la Toscane. La plus belle
inspiration ne vient-elle pas parfois des détails du vécu ?



Comme tout cela ne suffisait pas,
Lupano a voulu intégrer une composante supplémentaire, un aspect
militant, social. Il le pose chez Antoine, ancien syndiqué qui
s’oppose aux méthodes du grand laboratoire pharmaceutique où il
travaille mais aussi chez Pierrot, anarchiste qui continue ses
petites actions visant à perturber le système. Pour l’engagement
anar de ce dernier, Lupano a pensé à Robert Dehoux, anarchiste convaincu et débordant d’humour, qui eut la sage idée
de bloquer un jour, avec ses collègues, toutes les agences bancaires
de sa ville à l’aide… d’une boîte d’allumettes. L’homme,
également auteur, nous a quitté en 2008.



Au travers de cette BD, explorant
toutes ces possibilités, Lupano et Cauuet nous parlent de sujets qui
les préoccupent, les interpellent ou les énervent. Ils évoquent le
conflit des générations, la censure bête et grâce à tout cela,
ils parviennent à créer l’empathie du lecteur pour le vieux trio,
nous poussant à nous demander « Et moi, quel vieux grincheux
vais-je devenir ? »

Mais le constat d’échec que font ces
trois hommes n’ayant pu changer le monde n’est-il pas un message
profondément pessimiste ? Et bien non, car il ne s’agit point d’un
bilan. Le combat continue et Lupano rappelle que le plus important
n’est pas de perdre ou de gagner, c’est de résister, de refuser !



Si le tome un des aventures des vieux
fourneaux sort en avril, le second tome est prévu pour octobre et le
tome trois, et bien, le tome trois, Lupano est actuellement sur le
scénario. Leur idée consiste à réaliser une série
feuilletonnante à épisodes bouclés. Espérons que l’on n’a pas
fini de rire et pleurer avec ces Pieds Nickelés Senior.



Toutefois, avant d’arriver à la
version finale de l’album, il y eut un cap difficile à passer :
celui de la couverture. Au départ, Caueet a travaillé sur un dessin
montrant les personnages levant les poings. Mais une série baptisée
les Vieux Fourneaux avec des hommes dressant un poing revendicateur,
voire revanchard, risquait de créer une confusion, faisant croire
que la BD traitait d’une usine de sidérurgie en crise. Lupano et
Cauuet était dans une impasse. Pour en sortir, ils ont alors demandé
un regard extérieur, celui de Philippe Ravon, directeur artistique chez Dargaud. Ce dernier, très réactif,
leur fit plusieurs propositions artistiques, dont une couverture
orange et une couverture jaune. L’orange sert pour l’édition
spéciale et la jaune pour l’édition que vous trouverez en
librairie. Ce qui leur a plu, c’est le double niveau de lecture de
ces propositions. De loin, on voit des silhouettes noires se découper
sur fond jaune – ou orange, selon la couverture-. Et de près, on
voit distinctement les personnages dessinées.



Une couverture à double sens



Et puis, à leurs yeux, cela renvoyait
assez bien aux affiches de pub des années soixante ou à celles de
Jacques Tati. L’album était finalisé, et prêt à être distribué dans les
bacs.



Mais du coup, se pose une dernière
question : Pourquoi ce terme de Vieux Fourneaux ?

Sourire et réponse de Lupano, tout
simplement à cause de la chanson de Brassens « Le temps ne fait rien à l’affaire » où il utilise l’expression de vieux fourneaux, parmi d’autres,
pour parler des vieux.

Ces vieux fourneaux évoquait également
pour Lupano les fourneaux de Florange, allumés depuis leur création
et qui, une fois éteints, ne pourraient plus être relancés. Une
symbolique forte, qui recoupe le destin de ces trois héros ainsi que
leurs combats.



Ces trois vieux grognons qui font de
cette BD une œuvre touchante et juste. Quand vous aurez fini de lire
ce premier tome, pensez à aller partager le temps des vieux
fourneaux qui vous entourent. Peut-être parce que c’est l’occasion
de découvrir que parmi eux, vous avez un Pierrot, un Antoine ou un
Mimile. Et surtout parce que ceux qui restent, passés un certain
âge, ne restent jamais suffisamment longtemps.



Une fois n’est pas coutume, je laisse
le mot de la fin à Robert Dehoux :

« Nous ne sommes vraiment pas
faits pour vivre comme nous. »




Zéda se promène sur les sentiers du Sud avec les trois vieux fourneaux




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David
Davidhttp://www.davidneau.fr
Scénariste pour le jeu vidéo, le podcast et le cinéma, auteur-réalisateur de court-métrages animés, auteur dessinateur la BD numérique "Zéda, l'Odyssée du quotidien", enseignant à l'ICAN en BD numérique, et chroniqueur BD bien spûr. Sans oublier passionné de musique et de... BD ! Tout est dit.

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