: Big Bang Saïgon
Hughes Barthe (scénario et dessin), Maxime Péroz (dessin)
La Boîte à bulles
: Hors-champ
2017
: 160
2005, Maxime est assis dans l’avion qui le ramène au Vietnam. Il est
heureux de retrouver Akiko, sa petite amie qui attend son retour. Les
retrouvailles se passent merveilleusement bien et finissent au lit.
Mais Maxime semble tiraillé par quelque gêne intérieure… Qui
vient d’où ?
dans le passé, là où tout a commencé, avant son premier voyage au
Vietnam, alors que Maxime était un jeune fraîchement diplômé
d’une école d’art et qu’il cherchait sa voie, habitant toujours chez
ses parents, quelque part en France…
avis :
Bang Saïgon est une histoire d’amour. Mais elle recèle bien plus
que cela. Car autour de l’amour passionné entre Maxime et Akiko se
pose la question des racines, celles que Maxime est venu rechercher
au Vietnam où son grand-père aurait laissé un fils pendant la
guerre d’Indochine et aussi la question de l’intégration, de la
découverte d’une autre culture. Maxime finit par se fondre dans ce
pays qui prend corps autour de lui, mais il semble pourtant rester
toujours étranger. Ce que lui renvoie son histoire d’amour, enfin, à
ses yeux. Il craint quelque chose, ou plutôt semble chercher quelque
chose qu’il ne trouve pas. Et ce n’est pas ce demi-oncle perdu
quelque part dans le pays. Maxime se cherche, peut-être comme tout
jeune homme arrivant à un carrefour de sa vie, hésitant devant deux
voies si différentes et apparemment inconciliables. Rentrer en
France et construire sa vie dans son pays, où s’installer au Vietnam
et vivre cet amour avec Akiko, et partant de là se construire une
autre vie ? Ou encore partir avec Akiko au Japon ? Venir vivre avec
elle en France ? Tout d’un coup, les choix deviennent si vastes… Et
puis questions centrales de Maxime : Akiko est-elle la bonne personne
? Que va devenir sa liberté ?
Maxime
ne sait pas, hésite, ment par omission, cogite. Finalement, j’ai eu
l’impression que cette histoire d’amour arrivait trop tôt dans la
vie du jeune homme, qu’il n’était pas prêt à la vivre et qu’il s’y
jetait tout en traînant des deux pieds. Attitude paradoxale ! Il
faudra un choc violent pour que Maxime comprenne ce qu’il veut
vraiment. Mais ne sera-t-il pas trop tard ?
valse des hésitations a sur moi un double effet, on ressent
l’angoisse de Maxime et les doutes qui le rongent et d’un autre côté,
je me sens loin de lui. Car Maxime ne profite pas vraiment de
l’instant présent – même s’il se donne corps entier à son amour
– puisqu’il hésite, mais ses hésitations tournent en rond et il
ne s’interroge pas vraiment sur ce que le futur lui réserve, mais
plus sur un souci présent de vivre ou non cette histoire. Du coup,
Maxime ne profite pas de son histoire présente à la Carpe Diem mais
il n’est pas non plus dans une projection future. Il erre au fond de
sa tête. Et j’ai plus envie de lui donner un bon coup de pied aux
fesses que de l’écouter gentiment. Comme dit Akiko « Tu cogites
trop », je rajouterais « Tu cogites trop en rond ». En
fait, j’en veux à Maxime car je pressens le moment où Akiko paiera
les pots cassés de ces doutes. Doutes qu’il garde pour lui et ne
partage jamais avec elle, peut-être aussi parce qu’il ne trouve pas
les mots.
coup, cette belle histoire d’amour qui aurait pu se laisser vivre par
les deux amants sur le long terme et qui aurait pu échouer ou
réussir, Maxime la sabote inconsciemment.
allers-retours en France illustrent un peu son indécision, un pied
dans un pays, un pied dans l’autre. Des projets de BD qu’il voudrait
réaliser mais qui ne semblent pas avancer, des boulots alimentaires
pour repartir au Vietnam. Et là surgit un autre point qu’aborde
l’histoire : l’amour longue distance. Akiko à Saïgon et Maxime en
France, comment vont-ils échanger, cette histoire durera-t-elle ?
Mais à l’ère du numérique, ce ne sont plus les longues lettres qui
les relient mais les messageries et les webcams. Les échanges virent
vite à l’amour en ligne ! Comme si le sexe était une échappatoire
qui permettait à Maxime de ne pas se poser de questions.
cette relation longue distance soulève d’autres interrogations chez
le jeune homme, comment vont se passer les retrouvailles ? Et surtout
quand ?
du haut de ses vingt-cinq ans, n’a pas encore compris qu’il vaut
peut-être mieux vivre pleinement une belle histoire d’amour sans
savoir où elle nous mènera que de regretter de ne pas l’avoir
vécue. Il apprendra cette leçon bien durement. Malheureusement, il
ne fera pas souffrir que lui. Akiko subira aussi les conséquences
des hésitations du jeune homme.
Les personnages rond et stylisés, parfois esquissés, aériens,
semblent nous entraîner dans un récit léger alors qu’il n’en est
rien. Ce contraste fonctionne merveilleusement bien. Autour d’eux,
des décors simplifiés également mais toujours clairs et faciles à
comprendre, et surtout ce choix de couleurs, vert, bleu, rose, liés
au lieu où se déroule l’histoire. Des couleurs simples, qui elles
aussi adoucissent visuellement un récit triste. Au milieu de cela
débarquent parfois des dessins au trait noir, sortis tout droit des
carnets de voyage de Maxime Péroz. Et le héros s’appelle Maxime…
Mais nous ne creuserons pas plus loin.
composition simple mêle cases de petites tailles, denses en dialogue
avec de grandes cases muettes. Le dessinateur sait mettre en scène
la vie de tous les jours que Maxime observe depuis son balcon, ou
qu’il vit dans ses déplacements à mobylette et aussi la vie de
toutes les nuits, n’hésitant pas à partager avec le lecteur les
ébats torrides de ses héros, sans jamais tomber dans la vulgarité.
Car ces nuits torrides débordent aussi d’amour. D’ailleurs, le
regard d’Akiko sur la couverture ne laisse aucun doute sur ses
sentiments.
L’amour avance à grand pas dans la chaleur de Saïgon
vous avez vécu une histoire d’amour dépaysante – pas forcément
par le voyage à l’étranger qui l’aurait accompagné – où vous
vous êtes emmêlés les pinceaux comme Maxime, Big Bang Saïgon vous
enverra un reflet dessiné de ce que vous avez peut-être traversé.
Et ce ne sera pas forcément très agréable. Pour ma part, en
refermant ce livre, j’aurais voulu une fin différente, le bonheur
d’un couple, l’espoir de l’amour. Mais si j’avais eu cette fin,
j’aurais grogné en disant « encore ces happy ends, ça m’agace,
je déteste ça et gna gna gna ». Finalement, je suis peut-être
comme Maxime, J’espère toujours avoir ce que je n’ai pas, au lieu de
voir le bonheur dans ce que j’ai.
que ce que j’ai entre les mains avec Big Bang Saïgon, c’est un récit
simple qui m’a touché, ému, agacé, énervé, fait rire, presque
pleurer. Mine de rien, que demander de plus à une histoire ?
au Vietnam !