Les Solitaires
Tim Lane (scénario et dessin)
Delcourt
: outsider
2017
: 296
extraits de poème, l’histoire d’un homme assis dans un bus, le
regard perdu, une photo, l’histoire d’un garçon en fuite qui
s’embarque clandestinement dans un train de marchandises, une
publicité, une figurine à découper, un homme qui débarque à
l’improviste chez un couple pour Noël et d’autres BD, textes, images
qui vont finir par étrangement tisser des liens entre eux, ou pas.
avis :
histoires courtes, très courtes, d’autres plus longues mais
découpées en nombreuses parties. Des chroniques sur des moments
d’histoires – la grande histoire -, des événements, des périodes
ou bien encore des publicités, des textes, des interviews, des
rencontres… Bref, voilà les composantes de cette BD, un ensemble
fragmenté de multiples récits partant dans plusieurs directions,
reliés peut-être par l’époque où tout se passe, les années
cinquante-soixante. Et encore, rien n’est moins sûr !
vous pouvez lire cette BD en plusieurs fois ou en une, mais alors
bloquez votre soirée. Selon votre vision des choses, vous serez
fatigué rapidement de ne pas saisir un fil directeur dans tout cela
ou alors, vous vous enchanterez de bondir de monde en monde, pour
vous rendre compte que tous ces mondes n’en font peut-être qu’un.
Tim
Lane nous entraîne dans son univers, peut-être même tout
simplement dans sa tête, mais malgré ces nombreuses apparitions au
cours de ces histoires, rien ne nous dit qu’il y a une part de vrai
dans tout cela, mais rien ne nous dit que tout est faux. Comme
d’habitude, la vérité va se situer vers un juste milieu. En fait,
non, elle va se situer quelque part sur une ligne, et nous aurons
beaucoup de mal à la trouver.
finalement, l’essentiel n’est pas tant de trouver la vérité que
d’accepter de larguer les amarres pour ces deux cent quatre-vingt
seize pages d’immersion, et d’accepter ainsi l’improbable comme
possible et l’irréel comme probable. Selon les histoires, vous serez
dans le comique pur, dans le réaliste historique ou bien dans
l’onirique étrange. Oui, David Lynch traîne ses savates quelque
part dans ses pages et ce n’est pas étonnant que, tout comme lui,
Tim Lane ne donne pas les clés de compréhension. Et que tout comme
chez Lynch, la musique a une place, même éparse, dans ce récit ou
ces récits, je ne sais comment dire. Au hasard des pages, vous
trouverez des références musicales, des paroles de chanson, le tout
en parfait accord avec les extraits de poème. Le vers rime avec la
prose, l’encadre et la relâche.
de vue dessin, Tim Lane opte pour le noir et blanc, nous plongeant
encore plus dans son monde fifties en recourant à des pages
totalement noires, marquant une pause entre deux histoires, entre
deux moments, pour placer une citation, un extrait. Le trait est
réaliste sans être profondément détaillé. Et Tim Lane parvient,
selon les récits, à nous proposer différents styles de dessins.
Même si son trait ressort assez rapidement au cours des histoires.
Mais de la même manière qu’il joue sur les polices, il place quand
même quelques pages couleurs, textes écrits sur papier jaune de
cahier d’écolier, quelques ciels bleus, avant de repartir vers le
noir et blanc aux contrastes forts. Chez Tim Lane, le noir se révèle
aussi vivant que le blanc, et si des pages noires coupent et posent
pour un temps l’action, les cases savent déborder de noir également.
Un noir nocturne qui plonge les personnages dans de bien étranges
réflexions.
découpage et le cadrage sont aussi passés à la moulinette. Cases
petites et serrées ici, grandes cases sans contour là, mais
toujours ce noir présent, quelque part, comme un rappel, même sur
les pages les plus claires.
Lane nous offre une BD étrange, mystérieuse, envoutante, qu’on
redécouvrirait peut-être plus tard, en espérant saisir le moment
qui permettra de tout comprendre. Même si, au fond, aucun de nous ne
sait si ce passage existe vraiment et s’il est nécessaire.
aussi est un solitaire !