vendredi 11 octobre 2024

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Cher pays de notre enfance : Enquête sur les années de plomb de la Ve République de E.Davodeau et B.Collombat

Cher Pays de Notre Enfance editions FuturopolisTitre : Cher pays de notre enfance
Sous-titre : Enquête sur les année de plomb de la Ve République
Dessin : Etienne Davodeau
Scénario : Benoit Collombat et Etienne Davodeau
Editeur : Futuropolis
Année : 2015
Nombre de pages : 218
Résumé :
Enquête sur les années de plomb de la Ve république…
1971 : braquage de l’hôtel des postes de Strasbourg, et 1973 : Braquage en cascade de supermarchés, banques etc.. par le gang des lyonnais
Le 3 juillet 1975, le juge François Renaud, haut magistrat, est assassiné.
4 ans plus tard, le 30 octobre 1979, le ministre du travail Robert Boulin est lui aussi assassiné (voir l’affaire Robert Boulin).
En 1981 résonne aussi une autre affaire inquiétante : le meurtre de la famille complète du responsable du SAC à Auriol
De nombreux autres assassinats politiques sous les gouvernements Pompidou et Giscard d’Estaing etc….
Ces évènements paraissent tous liés à cette organisation parallèle aux instances gouvernementales, dénommée le SAC (Service d’Action Civique).
Cette BD apporte un point de vue nouveau sur ces années noires de la France, au travers d’une enquête journalistique, de témoignages de députés, journalistes, syndicalistes, magistrats, policiers, ou encore malfrats repentis, de documents d’archives etc…
Voici donc un reportage passionnant, étonnant et inquiétant. 

Mon avis :
Plus qu’une BD, cet ouvrage est un véritable documentaire très instructif pour les jeunes générations (et les moins jeunes aussi évidemment !)
La couverture, le livre :
Le livre est épais et massif comme si son contenu allait nous donner un coup de massue… et c’est le cas !
Il est de belle confection comme la grande majorité des ouvrages de l’éditeur Futuropolis !
La couverture est à la fois sombre et intrigante, mettant en scène le célèbre général De Gaule droit comme un chef d’état mais avec cette tache de sang latérale évoquant ainsi un impair, un probable lourd secret ou autre obscure révélation…
Le quatrième plat est plus évocateur d’investigations et met en scène les deux courageux enquêteurs.
Le résumé évoque parfaitement le contenu du livre.
 

Cher Pays de Notre Enfance page 4 editions Futuropolis
Page 4 extraite de l’album

Le dessin, le style, la mise en scène:
Etienne Davodeau, bien connu pour son œuvre (avec entres autres Rural !, Chute de vélo, les mauvaise gens, lulu femme nue, les ignorants, le chien qui louche etc…) nous conte son enquête avec son style si particulier à mi-chemin entre le schématique caricatural et un humanisme réaliste.
Encore une fois, il se met en scène, avec son ami et partenaire d’aventure Benoit Collombat, mais cette fois-ci, à l’instar d’un splendide « vis ma vie » comme « les ignorants », il participe activement à l’enquête menée sur ces sombres évènements des années 70.
Avec son trait fluide et rapide, son minimalisme de mise en scène alterné avec quelques scènes incroyablement détaillées, Etienne Davodeau sait donc très bien donner vie à ces personnages et témoignages comme si nous regardions un véritable documentaire filmé. L’exercice de captiver le lecteur sur des propos ou situations plutôt statiques, à travers un dessin, est incroyablement difficile mais pas pour Monsieur Davodeau, qui lui s’offre le plaisir de 218 pages haletantes et absolument pas rébarbatives !
Ainsi la narration des interviews et/ou de l’épluchage de preuves administratives, souvent illustrée par des anecdotes ponctuelles totalement hors du sujet principal, n’est absolument pas lassante (comme pourrait l’être une voix off lancinante). Les petits intermèdes ponctuels permettent donc de se libérer l’esprit pour mieux reprendre le cours de l’enquête… une sorte de pause visuelle…
Le dynamisme est aussi rendu par des jeux de perspectives probantes, des mises en scènes variées avec des plans tailles, gros plans, vue d’ensemble, etc…
Il y a peu d’effets et rien de fictionnel (comme des plongées ou contre plongée…), tout reste sur un cadrage humains.
Quant aux couleurs…
Et bien cette BD est entièrement en teinte entre noir et blancs, usant ainsi d’aplat et de lavis en différentes tonalités de gris et jouant parfaitement avec les ombres et lumières… Un style adopté depuis un bon bout de temps par Etienne Davodeau mais toujours aussi efficace et agréable. 
 

Cher Pays de Notre Enfance page 79 editions Futuropolis
Page 79 extraite de l’album

Le scenario, le découpage :
Ce livre construit comme une véritable contre-enquête et documentaire journalistique sur les obscurs évènements des années 70. Benoit Collombat, grand reporter, spécialiste de ces affaires, apporte toute l’expertise nécessaire pour bien appréhender le sujet, et de manière synthétique afin de ne pas perdre le lecteur. Il est d’ailleurs l’auteur du livre « Affaire Boulin, un homme à abattre » aux éditions Fayard, dont Etienne Davodeau fait référence dans les pages de la BD.
Ainsi cette investigation est construite de manière chronologique, suivant donc le cours des évènements, du braquage de l’hôtel des postes par le gang des lyonnais (membres présumés du SAC) jusqu’à l’assassinat de Robert Boulin, ministre du travail de 1978-79. Seul impair, l’introduction en matière qui aborde directement l’assassinat du juge François Renaud, mais cela se justifie car il enquêtait sur le braquage des banques…
Ce reportage est donc incroyablement riche et documenté, mais cela ne représente certainement rien en regard de ce que les auteurs ont pu éplucher, interviewer, etc… jusqu’à rencontrer des présumés criminels !!
Et le plus exceptionnel dans ce travail méticuleux, c’est que chaque interviews ou rencontres dessinées par monsieur Davodeau ont été soumises au préalable aux personnes témoins afin d’approuver et d’entériner leur propos et de s’assurer que ceux-ci n’ont pas été mal interprétés et/ou transformés. Les auteurs respectent aussi évidemment les conditions demandées par certains témoins comme cette femme qui demande à ce que l’on ne la dessine pas (elle apparait donc sous les traits d’une autre personne…) !
Certaines interviews sont tout bonnement extraordinaires et riche d’informations comme celle du cinéaste Yves Boisset par exemple…
Heureusement, Etienne Davodeau, fort de son expérience sait que si l’on impose une enquête de cette ampleur en un bloc, cela devient rapidement indigeste. Il a donc le génie de parsemer la BD d’anecdotes sympathiques comme les dépositions farfelues de certains membres du SAC, quelques guêpes qui volent la vedette, et ces entre-deux presque comiques où les auteurs tentent d’obtenir un RDV avec Charles Pasqua
Le découpage est particulièrement agréable avec de grandes cases aérées, des bords de vignettes tracés à la main, guerre plus de 6 cases par page, et un texte « à l’équilibre » vis-à-vis du dessin. En effet, on aurait pu croire qu’avec la quantité d’informations et d’interviews réalisées, le texte aurai pris une place considérable face au dessin, mais les auteurs ont trouvé un bon équilibre, et les lecteurs ne sont pas noyés dans une lecture longue et fastidieuse… Quelques fantaisies de découpage sont à noter comme des vignettes sans bordures, notamment dans les fameux intermèdes « Charles Pasqua », qui renforcent cette impression d’échec, de solitude, de silence comme si l’on devait taire les évènements…
Ce découpage est vraiment bien réussi.
 

Cher Pays de Notre Enfance page 3 editions Futuropolis
Page 3 extraite de l’album

Cet ouvrage est donc édifiant d’informations, de « scoops », et de vérités cachées. (Comme ces membres du SAC payés et envoyés pour taper des syndicalistes au moment où ces institutions montaient en force en contrepoids d’un patronat presque dictatorial, ou bien cette historiette citant Mr Sarkozy faisant référence à l’assassinat de Robert Moulin lors d‘une campagne électorale…)
Cependant ma contre impression a été tout de même une sensation de « non structuration » de la BD (même si elle est parfaitement structurée) de par son volume de révélations et la cohésion de l’ensemble de l’ouvrage qui ne tient qu’à ce seul fil conducteur qu’est le SAC.
Le nombre sidérant de rencontres et de témoins peut aussi faire perdre le fil de la lecture (car certains témoins reviennent quelques pages plus tard…)
Ceci dit, ce livre reste extraordinaire, inquiétant et bluffant. Il dévoile ainsi un monde sombre, cruel, où magouilles et escroqueries sont reines. Une vrai mafia française totalement ignorée par de nombreux citoyens, et dont nos amis transalpins n’ont rien à nous envier…
Ce livre mérite donc d’être dans les bonnes bibliothèques et j‘accorderai un bon 16/20 à l’exposé si je devais le noter…
Ciao
Yann

Et pour le plaisir, voici quelques interviews de Benoit Collombat et Etienne Davodeau !

 


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Yanndallex
Yanndallex
Je suis évidemment un passionné de BD depuis ma jeunesse. Un malheureux accident de vélo ma valu quelques jours d’hospitalisation. Ainsi ma famille, pour me faire passer le temps à l’hopital, m’offrit des exemplaires de la série des Tuniques Bleues. Cette série a été une révélation ! J’étais émerveillé de pouvoir lire des histoires humoristiques liées à des évènements dramatiques (la guerre de sécession, le racisme etc…). Je me régalais à suivre les aventures de mon personnage favori le caporal Blutch. Puis vint la pleine adolescence pour découvrir des séries plus sérieuses, ou toujours humoristiques, d’héroïque fantasy, SF ou policières (XIII, Thorgal, la quête de l’oiseau du temps, le grand pouvoir du Chninkel etc…). J’y ai découvert ainsi des styles graphiques plus travaillés, détaillés, réalistes, poétiques etc… une deuxième révélation pour m’ouvrir progressivement à la bd adulte. A ce jour j’aborde chaque nouvel ouvrage comme une surprise, une promesse d’une belle histoire, que l’on aime, ou que l’on n’aime pas. J’ai pris conscience au cours des années qu’une histoire illustrée de 48 pages, ou plus, n’était pas si facile à créer de manière scénaristique mais surtout graphiquement. Le talent n’est pas inné, et à chaque vignette, je contemple d’autant les années de travails des auteurs. J’admire les techniques graphiques (que je ne soupçonne parfois pas du tout), les choix de couleurs ou du noir et blanc, le travail sur les mises en lumière, la conception des mises en scène, le choix des plans, des effets, des perspectives, le découpage élaboré, les transitions des plans séquences etc… Bref mon œil s’est avisé, mais je n’en reste pas moins admiratif du travail réalisé et des sacrifices réalisés par chaque artiste pour offrir du plaisir à son lectorat, et cela même si l’histoire ne m’a pas forcément plu. J’aime aussi souvent à chercher d’où a pu venir l’idée de l’histoire, très souvent inspirée de fait divers, ou de l’histoire avec un grand H. Je suis aussi toujours émerveillé par la diversité des sujets traités par ce média. Cette disparité permet des livres souvent très intimes avec des témoignages poignants et durs, mais aussi de s’enrichir culturellement, s’ouvrir à des expériences inattendues, parfois loufoques et hilarantes, etc… Et elle nous promet encore de grande œuvres !!

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