L’Amerzone
Auteur
: Sokal
Casterman
1986
nouveau coup d’état secoue la république bananière d’Amerzone. Qui
dit nouveau président dit Amnistie. Ainsi, le vieux Valembois,
explorateur et ami de l’ancien dictateur est libéré. C’est là
qu’arrive notre canard préféré, chargé d’escorter Valembois pour
lui faire quitter le pays et le ramener à sa famille. Mais, bien
entendu, rien ne va se passer comme prévu, étant donné que
Valembois n’a nullement l’intention de quitter l’Amerzone avant
d’avoir réalisé un dernier rêve…
avis :
revisite le classique mythe du cimetière des éléphants et le
résultat vaut vraiment le détour. Canardo, toujours aussi
attachant, va se retrouver dans une aventure complexe. Il doit non
seulement gérer un papy bavard et têtu qui ne veut pas le suivre
mais aussi un pays en ébullition et toute une flopée de citoyens
plus ou moins bien portants à la morale fluctuante qui vont lui
mettre le plus souvent des bâtons dans les roues. On se demande
comment cette histoire va finir. D’autant qu’elle prend un tournant
plus étrange encore quand on découvre le but de Valembois. Canardo
ne manque donc pas d’obstacles et va même recroiser une vieille
connaissance dont je vous laisse la surprise, ce qui, on s’en doute,
ne va pas arranger ses affaires.
plus de ce pays hostile, Sokal réussit à donner un sens plus
profond à son œuvre. La quête de Valembois et sa finalité offrent
à l’auteur l’occasion, au travers de ses personnages, de poser une
réflexion plus philosophique sur le rêve et l’homme – Bien
qu’ici, il s’agisse d’animaux anthropomorphisés -. Depuis le début
de cette série et dans ses cinq premiers tomes, il y a un petit côté
métaphysique derrière l’histoire, qui m’a toujours laissé ému à
la fermeture d’un volume. Avec L’Amerzone, c’est cet aspect que Sokal
achève d’explorer.
partir du septième tome, on rejoint des polars animaliers, cyniques,
drôles, déjantés parfois, critiquant la société, mais il n’y a
plus cette mélancolie, cette sinistrose qui plane sur l’Amerzone,
qu’on retrouve dans le chien Debout ou La Mort Douce. Si les humains
manifestaient une curieuse présence dans les premiers et quatrième
tomee, ils quittent ici définitivement la scène. Pourtant,
l’Amerzone nous touche. Je m’attache à ce vieux briscard un peu
foldingue de Valembois, je voudrais protéger la petite Carmen, et je
me prend à rêver des jours meilleurs pour ce petit pays. Mais
corruption, haine, colère, violence sont malheureusement bien là.
L’Amerzone ne fait pas exception à la règle, le sang coule et les
morts se ramassent à la pelle(teuse). Les personnages secondaires
aussi restent en mémoire, comme ce petit fonctionnaire manipulé de
bout en bout, ce père un peu fêlé qui habille les indigènes en
sous-vêtements. Si la BD est assez bavarde, les silences pesants
trouvent leur place et savent tout autant imposer une ambiance
lourde. L’oscar du crachoir revient à Valembois qui nous abreuve
tout au long de l’histoire de ses pensées, de sa vie, de ses
ambitions, de ses déceptions et surtout de son rêve un peu fou.
Mais n’avons-nous pas tous des rêves un peu fous ?
le réalisme de certaines situations – la survie dans la jungle
hostile – n’est pas flagrant, on oublie vite pour se laisser porter
par cette histoire étrange et surtout envoutante. Quant à la montagne, c’est là que se situe l’objectif et la fin du voyage pour notre petit groupe. Paradoxalement, l’escalade n’est pas source d’obstacles. C’est l’occasion de découvrir un peu plus nos personnages, d’affronter leurs bascules et leur changements. Et la révélation située dans les cimes, le dénouement de l’histoire, réserve quelques surprises que le même le grand air montagnard ne saura pas faire passer.
sait nous rendre l’aspect poisseux de cet univers. Son trait
mélangeant tête animale et corps humains fonctionne à merveille,
certes dans un style moins réaliste que son successeur Blacksad,
mais tout aussi fort. Les décors réalistes sont toujours présents,
même si parfois, ils s’effacent pour laisser s’exprimer un
personnage. Les couleurs sont lourdes et même la jungle tropicale ne
laisse pas éclater son vert habituel. Ces couleurs sont à l’image
de l’ambiance : sombre.
cet album marque un tournant. Si le style de Sokal reste inchangé
dans les tomes suivants, le papier passe d’un papier mat, épais à
un papier glacé qui – comment pourrais-je le décrire – a
tendance à effacer le « grain » du dessin. Les premiers
fans de la série comprendront ce que je veux dire. A mes yeux, il
s’est passé la même chose pour XIII. Ainsi, à cause d’un simple
aspect technique, le dessin perd de sa force, de cette lourdeur qui
ancre les personnages un peu plus dans un monde dense et coagulant.
on se rapproche des grands espaces, plus le cadrage donne
l’impression de s’élargir et de se libérer. Même si quelques
bandes d’une case posent discrètement des ambiances.
cadrage joue beaucoup sur des plans rapprochés. Quelques dessins
demi-planches permettent de resituer joliment l’homme – pardon,
l’animal – dans l’espace. Bien que chargé, le graphisme ne nous
perd jamais dans les actions des personnages. Sokal a su imposer sa
patte autant aux pinceaux qu’à la plume dans ce bel album
la petite histoire, on pourra noter que l’histoire – justement – de
ce pays ne s’arrête pas là car Sokal, qui a délaissé un temps la
BD pour se tourner vers le Jeu vidéo, a sorti quelques années après
ce récit un « petit » jeu d’aventure répondant au doux
nom de « L’Amerzone ». On notera que le scénario fait
intervenir Valembois et Alvarez mais c’est le seul pont entre le jeu
et la BD. Les différences de la vie de ces personnages entre Jeu et
BD font qu’on ne peut même pas voir l’un comme la suite ou le
prédécesseur de l’autre. D’autant que dans le jeu, il s’agit
d’humains et non plus d’animaux ! Et comme une bonne nouvelle
n’arrive jamais seul, vous pouvez depuis cette année, rejouer au jeu
sur iOs et Androïd !
ne vous attendez pas – loin de là – à retrouver l’ambiance de
Canardo. Deux histoires, deux ambiances totalement différentes. Mais
qui n’a jamais rêvé d’explorer l’Amerzone ?
porte bien son nom, les personnages garderont en bouche un goût amer
de cette aventure et nous lecteurs, c’est avec émotion qu’on
reposera cet album, avec l’envie d’aller relire les premiers tomes de
cette curieuse série qu’a été l’inspecteur Canardo à ses débuts
ou même avec simplement l’envie de refeuilleter ce récit
d’aventure.
et Canardo, deux visions du monde se rencontrent !