Bonjour,
Le moment est venu de faire un petit retour sur certains moments forts du festival d’Angoulême de cette année 2019.
Petite digression, on parle toujours de moments forts mais peut-être qu’un jour, quelqu’un devra se décider aussi à faire des retours sur les moments faibles ! C’est pas parce qu’ils ne sont pas forts que certains moments doivent être oubliés. Battons-nous pour qu’on garde trace des moments faibles !Mais je m’éloigne.
Aujourd’hui, je vais vous parler de la BD et du numérique.
Sujet important si l’on en juge d’après les nombreuses conférences qui lui étaient consacrées (merci l’AdABD pour cet effort), toutes réunies dans le Pavillon des jeunes talents.
Je pourrais vous classer ces conférences en trois catégories, à savoir :
- les présentations de projets de BD numériques, comme LastQuest, de Prieur et Malgras, Eté, la saison 3, de Thomas Cadène, Josef Saffiedine,
- des conférences thématiques, sur la communauté, la BD numérique et ses financements.
- les présentations de plate-formes diffusant de la BD, comme Mutoon, Webtoon Factory, Gaiar, et d’autres, cette troisième partie fera l’objet d’un autre article parce que là, c’est un peu la folie quand même !
Allons-y gaiement et commençons par…
Sommaire de l'article
Les projets de BD numérique:
Et le premier de notre petit tour d’horizon :
Lastquest
Tout d’abord, venez découvrir cette BD numérique gratuite ici .
Les deux auteurs, Camille Prieur et Vincent Malgras, sont deux jeunes artistes issus des Arts Déco de Paris.
Ils ont proposé leur projet de diplôme, Odyssée 2.0, au challenge digital de 2017. Ils furent troisième du concours.
Vous n’avez pas lu Cette histoire numérique, pas de souci, séance de rattrapage en cliquant ici!
Puis les opportunités de travail dans la BD numérique arrivèrent, avec entre autres un projet de BD documentaire pour l’armée de l’air, sous forme de BD avec des passages animés.Ils enchaînèrent en décrochant la bourse de la fondation Glénat pour un projet et là démarra LastQuest. Avec cette bourse, ils profitent de la résidence SupaMonks créée par le studio du même nom, et ce pendant huit mois !
Ce projet fut l’occasion de poser, pour Prieur et Malgras, leur manifeste de la BD numérique:
- d’un point de vue technique, en utilisant le scroll vertical, des boucles animées, d’une bande sonore et d’effets de parallaxes,
- d’un point de vue graphique, en utilisant le style franco-belge, qui n’est pas utilisé, selon eux, en BD numérique,
- d’un point de vue structure, en coupant le récit en épisodes, à l’image des Webtoons coréens (là, c’est moi qui le précise, pas les auteurs).
Pour l’histoire, justement, les deux auteurs se basent sur la mythologie et les héros archétypaux.
A partir de là, ils ont créé leurs deux personnages principaux et leur ont donné une quête mythologique pour sauver leur monde.
Cette influence se sent dans les tenues, les accessoires. Même si nous sommes en pleine science-fiction, il y a une vraie influence gréco-romaine sur le design de la série. Influence assumée par Camille (Prieur) et Vincent (Malgras).
Les deux auteurs ont aussi pris le temps de nous expliquer leur méthode de travail. Camille, qui réalise les dessins, est passé du tout papier à la tablette numérique. Il travaille par calque, superposant dessin, colorisation, dégradé du ciel, ombres, lumières et filtres d’ambiance.
Pratiquant dix heures par jour afin de tenir les délais pour le projet, il s’est vite adapté à la tablette.
Les animations en boucle sont des GIFS réalisés sous Photoshop.
Ces animations sont plus des ambiances que des animations complètes. Elles doivent en effet fonctionner en boucle dans le but de ne pas perturber la lecture.
Je pourrais encore vous en raconter mais il nous reste de nombreux événements à parcourir.
Je finirais par ce que Prieur et Malgras attendent de l’avenir. Ils cherchent aujourd’hui un projet plus ambitieux, avec de nouvelles contraintes, des dialogues, un scénario plus étoffé, des histoires plus riches à tous les niveaux, dramaturgiques et aussi techniques.
Passons à la deuxième conférence projet.
Eté, saison Trois !
Et bien, j’ai eu le plaisir de découvrir qu’Eté, la BD instagram, aller lancer sa troisième saison. Changement total de modèle, ARTE n’est plus dans la boucle, et la BD ayant trouvé sa narration et son modèle technique, Camille Duvelleroy est parti travailler sur d’autres aventures narratives.
Quant à la série, le principe reste le même, un épisode par jour pendant les deux mois d’été. Avec Olivia et Abel, Le feuilleton reste homochronique, les jours de la série correspondent au jour réel. Par exemple, l’histoire de l’épisode du 14 juillet se déroulera… le 14 juillet.
Ce qui permet de recréer un rendez-vous quotidien avec le lecture. Ce qui s’est perdu, selon les auteurs, avec la BD papier.
Pour cette nouvelle saison, cinq idées majeures, appelées storyline. A savoir : La bucketliste, clin d’œil à la première saison, le mariage, et donc les enterrements de vie de jeune fille et de garçon, le voyage de noces, et le compte est bon !
Mais si Julien Aubert, de Bigger Than Fiction, Marie, Thomas et Josef sont là, c’est bien pour nous présenter le crowdfunding qui a démarré le 15 mars
Le but de ce rendez-vous avec le public, sonder les lecteurs pour affiner encore plus les contreparties. Cela tombe bien, il y avait des fans dans la salle.
Les contreparties varient beaucoup et c’est un plaisir pour tous les auditeurs présents de pouvoir donner leur avis en direct sur telle ou telle idée. Les discussions s’affinent et c’est tristement que l’intervention doit se finir pour laisser la place à la conférence suivante.
Et là, vous vous dites « Mais alors, à quoi on va avoir droit comme contrepartie ? Il va pas nous laisser comme ça, sans rien dire ? »
Ben si ! Je vous laisse la surprise alors rendez-vous sur KissKissBankbank où vous pourrez découvrir tout ce qui vous attend, avec étonnement et joie (je l’espère).
Voilà les deux projets qui nous ont été présentés.
Mais passons au deuxième volet de cet article.
Les conférences thématiques.
Je vais commencer par celle qui traitait des histoires de communauté.
Comment gérer sa communauté?
Conférence plus large que la BD puisque étaient présents Daniel Andreyev, qui fait du podcast, Caroline Segarra, qui s’est lancée dans l’audiovisuel, après un passage sur NoLife (chaîne qui nous manque encore – snif) et Yatuu, autrice de BD (ouf, il y en avait au moins une).
La conférence s’est finalement axée sur deux sujets. La gestion des revenus que peut générer le net et effectivement, la gestion de sa communauté – le monde est bien fait -.
Petit point important sur les revenus, pour tous les auteurs-artistes qui nous lisent.
Les auteurs peuvent (et c’est même recommandé ) prendre le statut d’auteur-artiste, et dépendre pour leurs cotisations sociales des AGESSA ou de la MAISON DES ARTISTES.
Saviez-vous que les revenus générés par la vente de BD auto-éditées par internet, de produits dérivés, de crowdfunding et autre Tipee ne peuvent malheureusement pas relever de ce statut ?
Mais pour les revenus précédemment cités, il vous faut un autre statut, celui d’indépendant, ou alors monter votre société. Cris de panique ! Il y a de quoi. Si ces questions vous taraudent, Benjamin Cerdan, le comptable de l’AdABD peut vous répondre. Contacter l’AdABD pour plus de détails.
Vous pouvez les trouver sur faceBook ,
ou au mail suivant : contact.adabd@numericable.fr
Les trois intervenants ont eu recours à la création d’une société. Et ils gèrent ainsi leur différentes sources de revenus.
Les trois ont aussi vu grossir leur communauté avec le temps et tous reconnaissent prendre exemple sur leurs aînés pour avancer.
La communauté, c’est compliqué (comme votre statut facebook). Il faut la comprendre, interagir avec elle et surtout, ne pas croire qu’une petite communauté va réagir comme une grosse.
Il faut repérer sur quels réseaux sociaux elle se trouve, va-t-elle bouger pour vous suivre ?
Il y a des règles et puis aussi des imprévisibles. Caroline a fait ce qu’il ne fallait pas faire, se diversifier dans les sujets traités, mais sa communauté a suivi. Un autre l’a fait et a perdu une grosse partie de sa communauté. Donc, première conclusion, des règles, peut-être mais rien de gravé dans le marbre.
Ils évoquent aussi une communauté qu’on oublie : Celle des autres créateurs. Demander conseils à ses pairs pour gérer un Tipee ou un crowdfunding, cela se fait, et même souvent.
Encore faut-il tomber sur le pair qui a envie de vous répondre ou bien qui en a le temps. Par exemple, j’attends toujours la réponse de Daniel Andreyev pour avoir quelques conseils pour gérer sa communauté suite à son expérience dans ce domaine.
Mais tous reconnaissent qu’être son propre community manager, c’est un travail de titan, voire même de trois ou quatre titans !
Ils se sont attardés sur les crowdfinding. Une campagne Ulule dure un mois, mais en fait, elle va vous prendre quatre mois de votre temps, préparation en amont blindée pour que la campagne soit un succès.
Ce petit aperçu vous laisse entrevoir l’immensité de la tâche.
Enchaînons avec la seconde conférence.
Un point sur la monétisation de la BD numérique.
Une flopée d’invités était présents :
Florian Dupas, de Kwalia, Camille Duvelleroy, auteure et réalisatrice interactive, Camille Prieur et Vincent Malgras, dont je vous parlais plus haut pour LastQuest, Vidu, auteur de BD numérique et Julien Baudry, de Phylacterium, auteur de la bible de l’histoire de la BD numérique en France, Cases-pixels !
Il ressort de cette conférence que la professionnalisation est encore difficile dans la BD numérique.
Tous les intervenants ont des parcours différents.
Florian Dupras propose un outil de création et de l’accompagnement aux auteurs,
Avec l’arrivée des plate-formes à l’abonnement ou à l’achat de BD, c’est souvent un contrat d’auteur relevant du marché de l’édition qui se met en place pour les auteurs du numérique. Ce qui pose un souci, les droits d’auteurs pour ce type de contrat tournant autour de 8 à 10%, mais plus souvent 8 que 10.
Par exemple, Vidu avait négocié pour un projet 50% de droits d’auteurs, et tout s’est effondré quand un éditeur est entré dans la boucle : Les droits d’auteur sont retombés à 14%! Bien sûr, c’est mieux que 8% mais tellement moins bien que 50% !
Comment se détacher de cette vision par rapport au contrat d’éditeur papier ? Certains suggèrent de changer de terme et de ne plus parler de BD numérique, mais par exemple de Divina, comprenez Digital Visual Narrative.
En effet, quand on leur parle de BD numérique les gens ont une vision qui ne correspond pas à ce qu’est la BD de création numérique. Ils pensent BD numérisée. Le changement de terme pourrait induire le changement de perception et amener un public vers cette BD en ligne. De plus, ce changement de terme pourrait induire aussi de nouveaux contrats pour une nouvelle forme de média et induire de sortir de ces maudits 8% – par le haut de préférence -.
Je trouve qu’on retrouve dans l’histoire du Divina le débat qui a amené à la création du terme roman graphique. En effet, dans un temps ancien que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître, la BD était vu comme uniquement destinée aux enfants, voire aux petits enfants. Les BD plus adultes qui arrivaient sur le marché devaient se démarquer de cette vision. Difficile quand vous dites Pratt ou Will Eisner auteurs de BD, de s’entendre répondre « Ah mais la BD, c’est pas pour moi, mais je peux montrer leurs BD à mon petit garçon si vous voulez » ! Et là, des marketeurs avisés – il paraît que ça existe – ont lancé les termes de « roman dessiné », de « graphic novel », de « roman graphique » !
Avec un autre terme, c’est peut-être le même combat qui s’engage. DiViNa, produit de narration numérique utilisant la séquentialité et le graphisme qui est une forme de BD mais Chuuuttt, on ne le dit pas pour ne pas faire fuir les foules et ni faire saliver les éditeurs.
La question du standard suit. En effet, un standard permet l’industrialisation et donc de mieux cerner les coûts, et donc les prix de vente. Et donc les revenus ! Mais là aussi, les avis divergent. Camille Duvelleroy ne se voit pas du tout dans cette dynamique d’un standard, elle préfère choisir le support le mieux adapté, quitte à le créer, pour chaque projet sur lequel elle travaille.
Florian intervient en disant qu’il voit deux types de créateurs pour le DiViNa / BD Numérique. Ceux qui ont besoin d’un outil pour créer, et ceux qui vont aller plus loin que l’outil.
L’outil permet de répondre à 80% des besoins et des demandes. Et il n’est pas là pour empêcher les autres de briser les codes – et donc le code de création de l’outil – et d’aller plus loin.
Il y aurait donc possibilité de mettre tout le monde d’accord.
Vidu rappelle aussi que si le contrat d’édition ne convient pas, c’est parce que la BD numérique fait intervenir moins d’intermédiaires. Il y a l’auteur, la plate-forme de publication (et ses coûts de maintenance et fonctionnement) et le marketing pour faire arriver la BD vers les lecteurs (et probablement quelqu’un qui doit faire les comptes quelque part). Alors que de l’autre côté, dans le monde du papier, il y a l’auteur, L’éditeur, l’imprimeur, le distributeur, le stockeur, le libraire et le marketing ! (et j’en oublie probablement, ne fut-ce que le comptable qui gère les sous de tout ce petit monde)
Si l’éditeur assure le marketing et la plate-forme, allez, et la compta, mais qu’il n’y a plus ni imprimeur, ni stockeur, ni distributeur, ni libraire, pourquoi prendrait-il 90% du gâteau ?
Ce qui freine aussi les auteurs à venir vers le numérique, ce sont les prix de vente. En effet, une BD numérique ne peut pas valoir aussi cher qu’une BD papier. Et donc, il faut en vendre plus pour gagner autant, et c’est difficile de vendre des objets numériques.
Là encore, un obstacle à la monétisation.
Beaucoup de questions lors de cette rencontre, beaucoup de pistes d’exploration, mais peu de réponses. En effet, les éditeurs étant absent de la discussion, on n’a pu échanger avec eux.
Mais deux choses ressortent. Les modèles semblant prendre place sont les plate-formes de BD numériques vendant des abonnements pour consulter un catalogue, un peu à la Netflix.
Ou des crédits pour consulter des œuvres.
- Subventions privés pour prieur et Malgras, avec la fondation Glénat ou des investisseurs privés,
- Subventions publiques pour Camille Duvelleroy, avec le CNC, par exemple,
- Subventions du public pour Vidu, via le crowdfunding.
Ce sont donc des exemples de préfinancement que nous avions sous la main. Mais ce modèle ne peut fonctionner tel quel.
D’abord, car les subventions ne sont pas infinies, elles sont limitées à un certain montant et à un certain nombre de demandes. Donc, il n’y aura jamais plus de tant de projets subventionnés par an.
Donc, soit les mêmes auteurs récupèrent chaque année grâce à leur expérience leur part de gâteau, soit d’autres auteurs, mais ça ne peut que tourner, jamais augmenter.
Et ces subventions concernent un petit nombre de personnes.
Et bien, concluons !
Conclusion, le mystère reste entier. Peut-être les événements de cette année nous en diront plus avec l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché, les nouvelles plate-formes de BD numériques. Mais nous en parlerons dans un prochain article.
En tout cas, Angoulême cette année a été riche en informations sur le monde de la BD numérique. Pardon, du DiViNa.
Oh et puis qu’importe, on parle d’art séquentiel, dans le fond.