Hop Family Tree
1970s-1981
Ed Piskor (scénario et dessin)
Papa Guédé
2016
: 112
de chansons et invente le Merry-go-round, un extrait musical passé
en boucle en jouant sur deux platines. Il inspire d’autres talents
naissants, comme Grand Master Flash, alors que Afrika Bambaataa impose
son style particulier de DJ. Et de fil en aiguille, c’est tout un
univers musical, graphique, culturel qui va émaner de ces
initiateurs, de leur rencontre, défis, battle, un univers qui se
répand d’abord dans la rue, où il est né, avant d’être approché
par les médias plus classiques, un univers qui deviendra le… Hip
Hop.
avis :
un sacré challenge qu’a relevé Ed Piskor, l’auteur de cette
histoire du Hip Hop !
que justement, cette culture née de la rue n’a pas d’archives
écrites par des historiens consultables en bibliothèque. Les
témoignages multiples s’opposent plus qu’ils ne se recoupent.
Comment dater une cassette enregistrée à l’arrache dans une soirée
? A qui se fier quand dix personnes différentes vous expliquent
comment elles ont inventé le terme Hip Hop ? Autant de difficultés
que Ed Piskor a eu à affronter et à surmonter.
c’est l’auteur lui-même, venu présenter son travail au FIBD
d’Angoulême cette année dans une rencontre au conservatoire de la
ville, qui parle le mieux de son travail en répondant au questions
de Xavier Guilbert, notre collègue de « Du 9 ».
l’auditorium où des fauteuils ont été installés sur scène pour
créer une ambiance cosy, Ed Piskor se prête au jeu des questions
réponses. Ce qui m’a permis de découvrir la genèse de cet album
ainsi que le parcours de l’auteur.
nous parlons ici de Hip Hop Family Tree, c’est par lui que je vais
commencer.
Piskor
nous explique qu’il rumine depuis des années l’idée de faire une BD
sur la culture hip-hop, autour du Bronx, là où tout a commencé. Il
ne savait pas encore quelle forme cela allait prendre. Et le premier
janvier 2012, il se réveille avec l’idée dans la tête de faire
l’histoire du rap. Il s’agit d’une histoire dure à raconter,
touchant au break, à la dance, au Djing, au graffitis car tout cela
est lié.
par le rap, Ed Piskor affirme qu’il en sait plus sur cette musique
que tout autre auteur BD. Pourtant, il sait qu’il y a des vides à
combler alors il écoute des interviews, des live, quand il ne
dessine pas. Et là, il était heureux de travailler sur une BD qui
l’enrichissait.
rapport à tous ces avis contradictoires des fondateurs du hip hop,
Ed Piskor ne tranche pas. Il présente les différentes pistes, les
conflits du milieu et quand il met en avant certaines versions, c’est
parce qu’il a des sources solides qui lui permettent d’affirmer ce
qu’il dit. Il est prêt ainsi à recevoir tous les retours et peut se
justifier de tous ces choix. Pour lui, c’est capital. Il se doit
d’être honnête vis-à-vis de son travail, d’être authentique. Il
précise que l’authenticité est une partie essentielle de la culture
hip hop. « Tu es sincère, ou te te fais dégager ».
a aussi conscience que les attitudes de ce milieu reposent beaucoup
sur le fait de se faire mousser, de s’imposer et de détruire
l’ennemi. Ce qui influence forcément la teneur des propos et la
vision des faits. Cette prise de conscience lui a permis de pouvoir
éviter d’être manipulé par les gens qu’il interviewe. Mais Ed
Piskor pense aussi que le fait d’avoir trente ans à ce moment-là
l’a aidé. A vingt ans, il aurait été sans doute plus manipulable
et certains ne se seraient pas privé de lui imposer leur point de
vue.
Piskor a pris soin de les écouter, en faisant le tri des paroles,
car il sait que ces artistes sont tous importants, ils sont tous des
micro-organismes d’une structure globale, plus grande qu’eux.
lisant ce premier tome, j’ai effectivement ressenti au départ
l’impression d’une masse énorme d’informations. Comme si chaque case
me racontait un pan d’histoire. Les intervenants sont nombreux, les
noms complexes et il me fut difficile de m’y retrouver. Au fur et à
mesure, en prenant mon temps, je me suis habitué à ce style dense.
Puis, les personnages reviennent, se croisent, en introduisent de
nouveaux, les têtes deviennent identifiables, bref, je suis rentré
dans l’univers par la petite porte. Et j’ai pris plaisir à
m’immerger dans cette décennie fertile en talents, en innovations,
en idées, de découvrir le fonctionnement, la logique qui a fait
évoluer ces petits groupes, ces crews, ces bandes, qui les a
rassemblés autour, et finalement dans un même mouvement.
je pense pouvoir dire aujourd’hui que si vous voulez bien profiter de
cette BD, il vous faudra bien plus d’une heure pour la lire, tout
simplement car chaque détail compte. On se prend à remonter
quelques pages pour retrouver d’où vient ce personnage. On s’amuse
des petits remarques placées dans le dessin par Ed Piskor.
surtout on se demande combien de temps il a passé pour collecter et
trier toutes ces informations, nous présenter ces morceaux phares,
fondateurs d’une culture, au détour d’une case !
grâce aux éditions Papa Guédé, cette BD devient plus qu’une BD
car la playlist des chansons de l’album ont été réunies par
l’éditeur sur une chaîne Youtube !
au gré de votre lecture, faites des pauses pour ne pas vous noyer et
allez plonger vos oreilles dans cet playlist, vous comprendrez bien
mieux les évolutions que vous raconte la BD.
au projet de départ Hip Hop Family Tree : Avant de trouver un
éditeur, ce projet fou et ample a d’abord fait son chemin sur
internet. En effet, Ed Piskor a commencé par lancer son histoire par
salve de deux pages mise en ligne chaque mardi sur le site Boing
Boing.
pour vous donner une idée, voici le premier strip online de hip HopFamily Tree, daté du 10 janvier 2012, en VO forcément, puisque Ed
Piskor est américain.
double page que Ed Piskor et Xavier Guilbert nous ont présenté lors
de la rencontre :
format en scrolling horizontal, visible sur le lien précédent ou bien sur la photo ci-dessus à gauche, a été retravaillé pour donner deux
pages de BD classiques, comme présentées ci-dessous :
Guilbert en profite pour noter le sous-titre initial de la série qui
ne réapparaît pas sur la version papier « A Look into the
viral propagation of a culture ».
de deux pages en deux pages, au bout d’un moment, Ed Piskor se
retrouve avec soixante pages ! Là, il relit tout et commence à
chercher les liens et travaille la cohérence sur encore vingt pages.
Il aboutit enfin à un tome de quatre-vingt pages.
vite, il se rend compte que ces tomes – il y en a quatre jusqu’à
présent – couvre des périodes de plus en plus courtes. Il
pourrait presque faire un tome par année, voire deux tomes pour
couvrir une période de un an de hip-hop.
Piskor se rend bien compte de la densité de ce qu’il raconte. Il
comprend parfaitement que certaines personnes aient du mal à s’y
plonger et à accepter ce foisonnement, même dirigé. Il s’en excuse
mais n’y peut rien, car c’est là sa manière de raconter. Une
manière adaptée aussi à un foisonnement d’artiste, chacun
apportant sa petite pierre à l’édifice globale.
en revenir à la version enligne, le phénomène incroyable a été
qu’au lancement du premier post (celui présenté plus haut), Ed
Piskor a refusé de regarder les statistiques et est sorti prendre
l’air. Quand il est revenu, deux à trois heures plus tard, il a cédé
à la curiosité et a constaté plus de trente mille visites. Le
succès est donc arrivé d’emblée. Et puis des sommités du rap ont
relayé ses histoires, comme Ice-Cube, Ice-T et d’autres, donnant
ainsi une certaine caution à son travail.
sûr, cela lui a rajouté une pression sur les épaules. Ed Piskor a
toujours été dur avec lui-même, mais suite à tout cela, il l’a
sans doute été encore plus.
alors, tiendrait-on enfin l’histoire de la réussite miracle par
internet ? Le gars qui met un truc en ligne une fois dans sa vie et
POUM, explosion et succès phénoménal !
parlons pas trop vite. Ed Piskor est tombé dans le dessin tout
petit, en découvrant des documentaires à la télé, présentant
Stan Lee puis Robert Crumb. En voyant Crumb dessiner, il s’est rendu
compte que lui aussi, avec une feuille et un crayon, il pouvait
commencer. Autodidacte, il a dessiné et dessiné puis est allé
(quelques années pus tard, je suppose, pas à l’âge de dix ans,
hein) présenté ses travaux. Et là, ça s’est mal passé, personne
n’a voulu de ses travaux. Alors Ed Piskor est allé à la rencontre
d’autresartistes pour leur montrer ce qu’il dessinait. C’est Harvey
Pekar, l’auteur de American Splendor, qui lui a donné sa chance en
le faisant travailler sur certains tomes de la série. Pour Ed
Piskor, ce fut comme intégrer une école d’art, il a appris au
contact du maître. La narration parallèle sur deux bandes, le
rythme et plein d’autres choses. Puis Pekar lui a proposé de
travailler sur Macedonia, une BD traitant des problèmes d’Europe de
l’Est et non, comme s’y attendait Piskor, d’Alexandre le Grand. Là
aussi, période formatrice.
a également travaillé sur l’album The Beats, référence à la Beat
Generation. Un projet qui ne semble pas l’avoir emballé plus que ça.
Piskor a voulu ensuite essayer de voler de ses propres ailes et s’est
lancé dans Wizzywig, une BD sur les hackers. Oui, le hacking, le hip
hop, les comics, Ed Piskor a énormément de centres d’intérêt.
Mais sur ce projet, il n’a pas disposé d’assez de rencontres et de
documentations pour faire quelque chose de vraiment exhaustif.
on arrive à ce premier janvier 2012 où il se lance dans la création
de Hip Hop Family Tree.
boucle est bouclée ?
revenir à la première version de la BD en ligne, vous avez
constaté, si vous êtes allé jeter un œil, que le premier épisode
se finit par un début d’arbre généalogique. Arbre que Ed Piskor a
finalement laissé tombé, car il devenait de pus en plus dense et il
était de plus en plus compliqué de rattacher telle personne à
telle autre et à telle autre. Mais surtout, le temps passé sur ce
travail devenait plus important que celui consacré à la BD et Ed se
rendait compte que cet arbre devenait, avec le temps, le reflet du
fonctionnement de son cerveau et non une simple généalogie du rap.
En fait, ce n’était pas quelque chose qu’il tenait à partager.
Alors pour toutes ces raisons, focus sur la BD !
les belles page de garde de la BD reprennent sous une toute autre
forme l’arbre. En fait, une galerie de portraits (différents aux
débuts et à la fin de l’album) se succèdent présentant (et y a du
monde) tous les gens liés à cette culture et aperçus dans ce
premier tome !
qui nous amène au dessin. Lors de la rencontre, nous n’avons pas
plongé sur la technique de dessin utilisé par Ed Piskor, une
question que j’aurais pu pensé à poser d’ailleurs.
le style renvoie clairement à la BD des seventies. En regardant
bien, vous pourrez faire des parallèles avec les comics. Et ce n’est
pas moi qui le déduit, c’est bien Ed Piskor qui l’affirme. Car il
voulait en optant pour des références comics ancrer l’histoire dans
une époque. Pour les années quatre-vingt, il ne fera pas la même
chose car il n’apprécie pas du tout le style graphique de cette
époque.
pour confirmer ses influences, l’album nous offre trois pages à la
fin montrant le parallèle entre le hip hop et les super-héros.
personnages stylisés reconnaissable, enfin, si on connaît le visage
de l’original…
couleurs semblent atténuées, étouffées, les décors très denses.
Certaines pages offrent un effet de décalage entre le trait et la
couleur, semblant vouloir accentuer la force du son qui se dégage
des énormes sound systems que chaque artiste finit par récupérer à
un moment de sa carrière. Car il en faut du potentiel sonore pour
animer des soirées en boîte, ou même dans la rue !
Piskor brûlait de dessiner ces vêtements, ces décors, de recréer
cette ambiance. N’ayant jamais été dans le Bronx, je ne sis pas
s’il y est arrivé mais moi, j’ai été vraiment emballé par ce
projet fou, incroyable, souvent très dense et parfois dur à digérer
mais tellement instructif, autant sur les grandes lignes historiques
que sur les petites anecdotes !
pour tout vous avouer, je ne suis pas du tout un grand fan de hip
hop, j’ai pourtant pris un grand plaisir à découvrir l’origine de
cette culture et à entendre les vieux morceaux fondateurs grâce à
la playlist donné par Papa Guédé et par l’auteur à la fin de
l’album. Je ne sais pas quand arrivera le tome deux, mais j’ai hâte
de revenir vous en parler !
rencontre Grand Master Flash et Afrika Bambaataa, les pères
fondateurs dans un petit strip maison « HIC HOP » !