: 120 rue de la Gare
Léo Malet (scénario) et Tardi (dessin)
1988
: 192
Burma, détective privé de son état, se retrouve prisonnier de
guerre après la débâcle. Dans son stalag, il tente de s’en sortir
au mieux qu’on le puisse dans ces conditions. Une étrange rencontre
avec un autre prisonnier, un amnésique surnommé La Globule, va
chambouler ses projets. Lorsqu’il parviendra à se tirer de ce
pétrin, une curieuse coïncidence va ramener ce souvenir dans la
tête de Burma et le plonger au cœur d’une étrange enquête entre
Lyon et Paris, entre zone bien occupée et zone presque libre, entre
meurtres et trafic.
avis :
histoire totalement prenante. Si vous avez connu Nestor Burma par
son adaptation télé des années 90 avec Guy Marchand dans le rôle
phare, vous allez être – rudement – surpris. En effet, Tardi, avec
cette BD, revient à l’essence du roman de Léo Malet et surtout à
son époque d’origine, l’après-guerre et même la guerre.
on connaît un peu le travail de Tardi sur la guerre, on peut vite
comprendre ce qui lui a plus dans ce livre. En effet, la guerre,
qu’on ne voit quasiment jamais, est omniprésente dans ce récit. Non
seulement elle pose sa patte sur le récit mais elle influence même
l’intrigue, créant des situations dont vont jouer certains
personnages pour retarder ou faire avancer l’enquête.
gros pavé – notons que la BD fait ses 190 pages ! – ne vous
laissera pas le loisir de le poser une fois que vous aurez commencer
à le parcourir. En tout cas, moi, quand je l’ai relu pour écrire
cette chronique, je n’ai pu m’empêcher de le descendre d’une traite.
Au départ, les incessants points sur l’action enfin, sur l’enquête,
m’ont un peu fatigué, je me disais « ça va, on a compris »
et puis au fur et à mesure que tout se densifie, ces points
s’avèrent importants, même vital pour ne pas sombrer dans
l’incompréhension totale.
Mais
au final, je trouve, avec le recul, qu’il y a beaucoup – trop
peut-être – d’incroyables coïncidences dans cette histoire. Les
personnages qui se croisent et se recroisent par hasard, même si la
situation de guerre regroupe les gens dans les mêmes coins, peut
surprendre et je me permet même de dire que c’est un peu facile de
temps en temps.
l’ambiance est tellement envoutante ! La reconstitution pendant ces
années 1940 et 1941 de Lyon en zone non-occupée et de Paris occupée
est passionnante. Le brouillard qui enveloppe les villes la nuit est
angoissant. D’autant plus que même à Lyon, règne un couvre-feu.
Sortir le soir n’est donc pas chose facile ou en tout cas, pas
dépourvu de risques, même pour un noctambule comme Nestor Burma.
voilà, le personnage phare de l’histoire (et dans la nuit sombre, ce
n’est pas peu dire, d’ailleurs, son agence s’appelle Fiat Lux), celui
par qui tout se recoupe et s’éclaire. Au départ, nous sommes dans
la même confusion que le personnage et petit à petit, dans son
enquête, celui-ci prend de l’avance sur nous. Nous le constatons
quand soudain, il nous annonce des informations… qu’il a
découvertes plus tôt dans l’histoire sans en faire part au lecteur.
Et là, à l’inverse du principe de l’ironie dramatique, c’est le
personnage qui a une longueur d’avance sur le lecteur et qui la garde
jusqu’à la fin.
effet, comme Nestor, nous ne voyons rien, ne savons rien de ce qui se
trame dans l’ombre. Pas de plan – enfin, de cases – sur les mains
du méchant qui se frottent, pas d’action loin de Burma. Tout se
passe autour de lui et surtout avec lui. Nous voyons ce qu’il voit –
et encore, parfois, il en voit plus que nous -. Mais ce qui est
fascinant, c’est de relire cette BD longtemps après l’avoir lue (et rerelue) et de re-mener à nouveau l’enquête. Pour ma part, des
vagues souvenirs m’ont aidé mais je n’ai pas réussi à trouver le
fin mot de l’histoire avant Nestor !
quand bien même j’y serais arrivé, qu’importe. Léo Malet a su
faire de la guerre un personnage à part entière, rendant cette
histoire intéressante à (re)découvrir. On connaît certes les
couvres-feu, les tickets de rationnement ou encore le marché noir
mais il est des détails insignifiants qui prennent toute leur saveur
dans cette enquête. Je ne vous en dis pas plus.
sans doute caractéristique de l’époque, Burma ne coupe pas à la
grande scène de fin où tout le monde est réuni et où
l’intelligent détective étale tout ce qu’il a découvert, ménageant
un suspense fascinant et nous offrant une ellipse temporelle dont le
contenu sera dévoilé juste après. L’intérêt de ce choix
m’échappe un peu – pour ne pas écrire beaucoup -. C’est drôle car,
à mes yeux, cela ne correspond pas vraiment au Burma de l’enquête
que nous avons suivi précédemment.
tout cas, l’ambiance est superbement rendue par Tardi et ses dessins
pesants, lourds, denses.
effet, Tardi s’attelle au pinceaux. Je ne reviendrai pas sur son
style, je pense que tout le bien en a déjà été dit partout
ailleurs, ou presque. Je trouve que sa patte s’adapte à merveille à
cette enquête de Nestor Burma.
noir et blanc, qui nous replonge dans ces images de la guerre, y
contribue fortement.
je reconnais qu’une certaine lenteur émane de ses cases. Les
personnages semblent ralentis, pesants, on entend presque leur
chaussures claquer sur le trottoir. Pas tant claquer que s’écraser.
Les vêtements sont épais et en cette période hivernale où se
déroule la BD, c’est mieux pour la santé. C’était l’époque où on
se pelait en plein novembre. Si, si, rappelez-vous avant qu’on
dérègle complètement la planète ! Du coup, même les scènes
d’action semblent frappées par la force gravitationnelle.
Rassurez-vous – ou inquiétez-vous selon vos gouts – elles ne
sont pas si nombreuses que cela. Nestor se débattant difficilement
le temps d’une case, son ami Covet rossé dans la pénombre, un homme
torturé…
aussi que la spécificité d’un Burma, à la différence d’un Poirot
ou d’un Holmes, c’est qu’il est bien entouré, journaliste, avocat,
homme de main, vieux copain, inspecteur de police, ils sont nombreux
à aider notre héros à tenter de démêler cet imbroglio. Et la
guerre laisse aussi ses traces chez les compagnons de route de Burma.
se composent de deux à quatre bandes de une à trois cases. Ce qui
offre beaucoup de place que Tardi remplit savamment par ses décors
omniprésents. Que ce soit le stalag, la ville de Lyon, les rues de
Paris, la campagne de Château-du-Loir, tous ces paysages sont
présents et les personnages ancrés dans ces décors. Je reviens
toujours à cette histoire de poids que je ne sais mieux définir
qu’avec ce terme. Les dessins de Tardi me font sentir le poids des
choses. Et si les gros plans nous ramènent en plein sur les
personnages, le recul que prend l’auteur les positionne toujours dans
l’espace, qui est aussi lié au temps, à un temps précis même. La
guerre intervient dans l’histoire, mais aussi dans le dessin.
toute la réussite de cette adaptation. Tardi a su s’emparer, selon
moi, du roman de Léo Malet pour lui donner corps… et poids grâce
à ses images ! La couverture est à l’image même de cela : La femme
menaçante, son manteau pesant, Nestor Burma en pleine réflexion,
pipe au bec, emmitouflé dans des lourds vêtements noirs, la nuit
dense autour d’eux, un réverbère flou et une l’ombre lointaine d’un
immeuble dans la nuit. Sans oublier ce pavillon de banlieue à la
fenêtre éclairée. Vue avec une légère contre-plongée qui le
rend légèrement inquiétant, sans trop savoir pourquoi. Décor,
personnage, gros plans, plans larges, tout est mélangé dans cette
couverture, et pourtant, tous les nœuds de l’histoire sont bien là,
dans un fragile équilibre que le récit va rompre.
doutez bien que je n’ai qu’un conseil à vous donner, lisez cette BD.
Aujourd’hui, la série a été complétée par deux autres
adaptations réalisées par Tardi lui-même : Brouillard au pont de
Tolbiac – ne confondez pas avec Brouillard au pont de l’Alma, un
film évoqué dans 120 rue de la gare –, Casse-pipe à la Nation et
M’as-tu vu en cadavre ?
gueule de bois en plomb, Tardi reprend Burma mais dans une enquête
qui n’est pas adaptée d’un roman de Léo Malet.
série s’est étoffée d’autres récits, adaptés des romans de
Malet, mais dessinés par d’autres dessinateurs – Emmanuel Moynot,
Nicolas Barral – dans un style plus ou moins proche de celui de
Tardi, passant progressivement du noir et blanc à la couleur.
à vous de vous faire une idée. En tout cas, Je peux vous affirmer
que l’enquête du 120 rue de la gare vaut bien un petit détour par
votre libraire pour vous plonger avec délice dans ces difficiles
années quarante !
tente d’aider Nestor, mais cela s’avère pus compliqué que prévu…