vendredi 19 avril 2024

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Rencontre avec Philippe Delaby, le dessinateur de Murena

Philippe Delaby
Le festival de Lyon BD fourmille d’événements. Et, parmi eux, une petite rencontre presse avec Philippe Delaby, le dessinateur de Muréna.
Le temps pour Robin et moi, les deux vaillants représentants de 7BD, de se poser dans la salle de presse et d’attendre patiemment cette rencontre. D’attendre, d’attendre, d’attendre… Jusqu’au moment où je me rend compte qu’on est un peu seul en salle de presse. Diantre, me serai-je trompé de lieu ? Vite, courir pour trouver Sarah, une des organisatrices débordant d’informations. Elle m’apprend que si il n’y a pas plus de gens, la rencontre n’aura malheureusement pas lieu. Que faire ? Sarah nous a offert sur un plateau la réponse. Aller voir le service de presse Dargaud pour que la conférence, au lieu d’être simplement annulée, devienne une interview ! Moment de panique, nous voilà, avec Robin, pris sur le vif, devant préparer des salves de questions pour… pour quand, en fait ? Ah, maintenant !
Rien n’arrêtant vos chroniqueurs préférés, nous dévalons les marches du Palais du commerce (et je vous garantis qu’elles sont glissantes) pour débarquer au stand Dargaud et nous tombons sur l’éditeur de Muréna. Nous reprenons notre souffle en attendant patiemment l’attachée de Presse. Elle précède Philippe Delaby de peu, et nous confirme l’interview. Le dessinateur arrive, grand sourire au lèvres et nous propose même de faire cela dehors, au soleil. Oui, je ne vous ai pas dit qu’à Lyon, il faisait 30° à l’ombre ?

Robin et moi suivons donc Delaby et son éditeur à l’extérieur. Et voilà que, soudain, les deux compères s’arrêtent devant la terrasse d’un café. Là, assis à une petite table, lunettes de soleil, cheveux gris, un homme sirote tranquillement un verre. Les salutations fusent, les blagues, c’est Jean Dufaux, le scénariste (entre autres) de Muréna !
Et Nous voilà attablés à la terrasse, Jean Dufaux, Philippe Delaby, L’éditeur et votre serviteur. Seul resté debout, Robin qui se dévoue pour immortaliser ce moment.
Il faut donc se lancer, voilà le temps des questions. La première est simple, quoique : Philippe Delaby pourrait-il nous resituer le contexte de Muréna, pour ceux de nos fidèles lecteurs qui ne l’auraient pas lu (aurai-je dû préciser, pas Encore lu ?).

Et Delaby se met alors à parler. Volubile, heureux, il nous raconte la trame de la série, et même plus que cela. En fait, il répond à nos questions avant même que nous les posions !
Et voilà qu’il nous raconte le choix de l’époque romaine. En effet, avant , il y avait peu de BD sur le sujet en dehors du légendaire Alix de Jacques Martin. Avec Dufaux, il voulait faire quelque chose de sérieux et conséquent sur ce sujet là. Et l’idée de Muréna est arrivée. La série se passe à Rome sous le règne de Néron au premier siècle de notre ère. Elle montre l’ascension de Néron mais aussi tous les personnages qui tournent au tour de lui, dont un qui est carrément son double, et sera son ami, Lucius Muréna. Ils sont les deux faces d’une même pièce. Un antagonisme se crée entre eux deux, leur relation jongle entre attirance et répulsion. Muréna est droit mais il a ses travers, pareil pour Néron.
Le futur empereur est baigné dans une famille et une sorte de masse très négatives qui vont jouer sur son tempérament. Dans un premier temps, il ne voulait pas être empereur, mais sa mère le voulait, à des fins politiques. Elle est très manipulatrice. Néron, arrive au pouvoir à 17 ans, c’est bien jeune pour gérer un empire. Son Précepteur était Sénèque malgré cela l’atmosphère reste tendue pour Néron. Muréna va être évincé même si il est l’ami de Néron, à cause de divergence d’opinion et d’une femme. Néron va avoir Acté comme maîtresse. Elle représente la seule qui aurait pu rendre la vie de Néron agréable. Mais Acté va disparaître. Muréna, repoussé, soupçonne Néron d’avoir tué sa mère. En effet, la Mère de Muréna a été l’amante de l’empereur Claude. Tout, à Rome, est un jeu d’influences politiques. 
Delaby et Dufaux ont voulu remettre les choses en place:
Néron n’est pas ce cliché de l’empereur avec sa lyre en train de chanter devant Rome en flammes. Déjà, ils ont appris que Néron n’était pas là lors de l’incendie. Personne ne sait vraiment qui était à l’origine. Dans la ville de Rome, à part les constructions solides et les pavés, le reste de la ville était en brique romaine, en torchis ou en bois. En outre, les gens se chauffaient avec des braseros, et donc les lieux étaient propices à des incendies.
Pour Delaby, c’est l’imaginaire qui est important. l’imaginaire qui rejoint l’histoire, les auteurs faisant en sorte que les deux se mélangent bien, l’un entraîne l’autre et ça se développe au fur et à mesure des albums. Les deux auteurs utilise des pans d’histoire où ils peuvent introduire des choses de leur imagination.
Et cette démarche plaît aux spécialistes. Ils ont réalisé Murena de manière naturelle et sincère. Delaby pense que quand on est sincère, les choses qui en découlent sont naturellement bonnes. De plus, la série a eu une reconnaissance du côté des historiens. Une grande fierté pour Delaby et Dufaux. Elle a aussi été reconnue par la société des gens de lettre, mais ils ne font pas des séries dans cette optique mais cet intérêt pour Muréna leur donne confiance et ils se disent qu’ils ont eu raison de ne penser à rien qu’à ce qu’ils avaientt envie de faire. A l’époque, quand on a commencé Murena, la BD historique et le péplum n’étaient plus d’actualité. Il y a eu Murena puis une sorte de revival avec Gladiator en 2000 et cette série Rome, et plein d’autres séries BD qui ont touché au sujet. Ils sont arrivés dans une sorte de mouvement, de mouvance, mais tout cela n’était pas calculé au départ. Très heureux, Delaby et son scénariste ne boudent pas leur plaisir d’être lu. Il la considère comme un vrai bonheur. Quand un album sort et qu’il est lu ça leur fait plaisir.

Expo murena

Delaby a pleinement conscience que c’est nous, le public qui est le grand décideur. Le livre ne lui appartient plus dès l’instant qu’il est terminé, il passe entre les mains du lecteur. Les auteurs croisent les doigts. Lui met ses tripes, son âme, son coeur, le scénariste, l’éditeur également. Leur directeur éditorial, assis également avec nous à la terrasse du café, est arrivé à faire éditer Muréna par sa pugnacité. Si on fait belle histoire, de beaux dessins, une belle édition et une belle impression, on met le maximum, mais il y a aussi le facteur chance, à quel moment la BD sort par exemple. Il y a quarante, cinquante ans, il y avait peu de séries, peu de titres. Aujourd’hui, le rayon BD c’est hallucinant, un lecteur lambda ne s’y retrouve pas, alors il va se référer à des titres très connus. Même pour un spécialiste, c’est dur ! Delaby ne sait pas combien de livres sortent chaque année, mais aujourd’hui, il faut savoir faire sa place, son trou. 

Pour cela, il faut être fidèle à son public, ne pas se moquer de lui en mettant un temps fou entre chaque album. Un lecteur lit un tome en une heure, deux heures maximum et doit ensuite attendre un an pour la suite, c’est long. Si c’est deux à trois ans, vous risquez l’oubli. C’est le genre de chose qui peut tuer une série. Delaby remarque cela depuis qu’il est un aficionado de certaines très bonnes séries. Le temps qu’il faut attendre entre deux saisons est long. Du coup, Philippe Delaby détermine rapidement la date de parution d’un nouvel album, en s’appuyant sur ce qu’il peut faire sur un délai de quinze jours. Ce qu’il apprécie avec Jean Dufaux, c’est qu’ils tiennent un rythme épisodique au niveau du scénario. Philippe Delaby aurait tendance à se dire: « Bon ça va, j’ai le temps. » C’est très dangereux pour lui même si d’autres le font. C’est devenu presque un jeu lorsqu’ils se voient avec Jean Dufaux pour qu’il lui donne les scénarios. Ca se passe toujours autour d’une table et il a le scénario par tranche de cinq à huit pages. Ce qu’il aime bien dans « ce jeu » c’est découvrir l’histoire au fur et à mesure et quand il demande ce qui se passe ensuite, Jean Dufaux répond « Tu verras ! ». Delaby trouve cela très excitant et s’imagine parfois la suite en attendant. Muréna est plus une passions qu’un travail même si il y passe des heures. Il a la chance d’avoir très peu d’angoisse de la page blanche. La fatigue après un festival et des séances de dédicace joue sur le travail car quand on arrive devant sa planche il faut être frais et dans des conditions optimales. Avec Dufaux, Il leur faut une dose de réflexion et de mise en scène. Le côté technique se rapproche plus d’un vocabulaire cinématographique avec le découpage, les séquences. Ce qu’on voyait beaucoup moins dans les années 60. c’est arrivé après, dans les années 80. Ensemble, ils parlent surtout de jeux d’acteurs, d’éclairage. Ce qui fait que Murena se construit à deux. En fait Dealby et Dufaux ne font qu’un, il n’y a pas le dessinateur et le scénariste, il y a l’auteur qui met toute son âme et son expérience sur Murena. Ils sont une sorte de vieux couple depuis 1996. 
Il y a une belle complicité entre eux et ça joue sur la facilité du travail. Certaines choses sont compliquées et longues, par exemple dans le montage. C’est ce qu’il a appris avec Jean Dufaux. La technique du dessin est oubliée. ce qui est important c’est surtout la mise en scène : comment va être positionné l’éclairage pour donner une force à certaines scènes, ou comment « tricher » comme des grand cinéaste (Hitchcock et la perspective truquée dans « Sueur Froide » pour renforcer ce sentiment de vertige). Mais il ne faut pas le faire systématiquement au risque de cela devienne n’importe quoi. Il faut également donner une certaine dynamique. Delaby a un dessin académique. Il est précis, presque maniaque, donc trop de petits détails le freinent. 
Quand il y a trop de détails dans une case, cela perturbe la lisibilité mais il en faut quand même. Et pour Murena, c’est nécessaire avec les casques, les palais… Il faut néanmoins faire attention, car une planche trop dense en détail perd de sa légèreté. L’envie d’aller plus loin est toujours là. Et quand le musée de Saint Romain en Gal, à Lyon, a proposé de passer un palier avec une exposition il y a tout juste 5 mois, c’était le moment idéal pour faire quelque chose de conséquent à Lyon.expo murena A la fin de la discussion, Philippe Delaby nous a laissé une patate à décorner les boeufs (je revendique ce mélange d’expressions). Et c’est heureux que Robin et moi avons repris notre chemin, avec la lourde tâche de retranscrire le long entretien que ce dessinateur avait eu la gentillesse de nous accorder. Notons pour conclure que deux expositions sont consacrées à Muréna. L’une s’est déroulée pendant le festival de Lyon BD devant la salle Garnier dans le Palais du Commerce. L’autre a lieu au musée gallo-romain de Saint-Romain en Gal, qui a ouvert ses portes le 17 mai et va durer jusqu’au dimanche 1er septembre 2013.
D’abord présence psychologique, par une petite phrase « j’ai une épine dans le cœur. » Puis, plus tard, présence physique par les épines plantées dans la chair. Et au final, une présence dans les aliments, avec ces épines qui sont mangées, englouties dans la chair. C’est effectivement le genre de nuances qu’on perçoit en relisant une BD. Et c’est sur ces symboliques que Robin et moi nous sommes retirés, afin de ne pas devenir les épines dans le pied des auteurs, qui ont quand même offert de longues séances de dédicaces avant de nous accorder cet entretien. Nous nous sommes alors éclipsés afin de laisser les trois compères profiter ensemble de la fin de journée et du soleil. Nous avons eu la chance d’avoir un bel échange. J’ai été ravi de voir brûler le feu de la création, de sentir transparaître la joie d’un auteur, d’entendre la conviction de l’homme. Je garderai un bon souvenir de cette interview, qui s’est déroulé dans la bonne humeur, où le rire le disputait à la gentillesse. 


David



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