L’Arche du A
Dargaud
1992
: 60
doit réparer le tonneau de son oncle Félicien mais uniquement un
jour d’orage. Ca tombe bien, le tonnerre roule de sombre nuages sur
la ferme du père de Philémon. Le jeune homme se met au travail,
écoutant son vieil ami Barthélémy gémir sur l’impossibilité de
retourner dans le monde des lettres de l’océan. Ils sont interrompus
par la foudre, les deux compères foudroyés et finissent… au
sommet d’un mât de vigie, sur un navire étrange en pleine
croissance, au beau milieu de l’océan, au cœur d’une violente
tempête. Comment Philémon et Barthélémy vont se sortir de ce
pétrin ?
avis :
repart pour une nouvelle aventure, égaré à nouveau entre le monde
normal et le monde des lettres, quelque part entre le poétique et
l’absurde. Car voilà les deux véritables maîtres de l’univers de
Fred, auxquels il faudrait rajouter le rire.
les rencontres que traverse Philémon à chacun de ses voyages
oscillent sans cesse entre ces trois pôles et Fred arrive vraiment à
trouver l’équilibre ténu, le temps parfois d’une case, pour me
toucher.
de fond de l’épisode est quasi-biblique, car dans le monde des
lettres que Philémon rejoint, il pleut depuis quarante jours et
quarante nuits sans discontinuer. Du coup, les îles-lettres ont été
noyées. Dans ce monde, les lettres du mot Atlantique que vous lisez
sur une carte sont autant de véritables îles abritant une faune et
une flore des plus farfelues !
Le
déluge ne s’arrête pas et la vieille maison de Barthélémy a
poussé (normal, avec toute cette eau) et du coup, elle constitue
l’arche fixe où se réfugient les habitants des îles alentour.
Philémon, en tentant d’arrêter le déluge et de retrouver
Barthélémy qu’il a perdu dans une des lames de fond qui frappe
l’arche, va tomber entre autres sur des buffets affamés, une
licorne, et un trompomp !
n’est pas complexe mais les solutions sont toujours surprenantes. Ce
que j’aime dans le monde de Philémon, c’est que la surprise se
trouve au détour de chaque page. On ne s’inquiète pas tant pour
notre héros que de savoir jusqu’où Fred va pousser le curseur. Et
d’ailleurs il le pousse assez loin, et c’est tant mieux.
retrouve donc des anciens, comme Vendredi le centaure mais aussi des
nouveaux dont je vous laisse la surprise. Car je me rends compte que
je vous en ai déjà trop dit.
laissez-moi vous parler du dessin de Fred. Personnages stylisés,
simplifiés, mais tellement reconnaissables. Barthélémy avec sa
tenue verte et son chapeau conique, Philémon avec sa tignasse brune
et son T-shirt rayé blanc et bleu, Vendredi et sa barbe. Les décors
ont quelque chose d’organique – ce qui se comprend quand on vous
parle de buffet carnivore – une trace d’irréel, même dans le
monde normal. Et Fred utilise des extraits de photos, d’images
anciennes qu’il « absorbe » dans son dessin pour les
faire ressortir d’autant plus. Ce qui nous remet d’une façon
graphique de façon plus prononcée dans l’absurde. Les couleurs sont
pleines, poétiques tout autant que l’histoire. Elles se mélangent,
et la couverture vous en donnent un bel aperçu.
composition porte elle aussi la magie d’un monde étrange. En effet,
les cases sont reliés par des éléments de dessins continus d’une
case à l’autre, alors que les personnages même peuvent parcourir
ces cases en changeant d’échelle.
scène de fuite au milieu des buffets carnivore en est un bel
exemple. Pour alterner, Fred nous offre de temps en temps des dessins
pleine page, même pleine double page, qui figent l’action, la vie et
le combat de ces naufragés en pleine tourmente.
cadrage semble simple mais par la construction même de la
composition, il se dénature, et suit une histoire qui semble le
dépasser.
gros plan sur un cigare, et Philémon en plan serré, avec un gardien
au loin, tout cela en deux cases qui n’en font qu’une ! Un simple
exemple de la magie de Fred. Une magie que je suis heureux d’avoir
retrouvé en relisant cet album, et encore pus heureux d’avoir
partagé avec vous ce tome, porteur d’une grande catastrophe
naturelle avec ce déluge inattendu, ou une autre.
espérant que tout ceci vous donnera envie de découvrir ou de
retrouver le cycle de Philémon. Fred nous a quitté, certes mais il
a pu porter la pierre finale à son univers, boucler ces voyages
tranquilles dans le dernier tome de la série.
j’ai l’impression que ces histoires douces, autant absurdes que
drôles, manquent un peu aujourd’hui. Mais je peux me tromper, il y a
telle profusion sur le marché de la BD que je ne prétendrai pas
tout commettre.
cycle de Philémon est comme une succession de contes, de fables, de
ce que vous voulez, car dans le monde des lettres, vous y apporterez
au moins autant que vous y trouverez !
et Philémon sous le déluge !