Titre : Paris 2119
Scénario : Zep
Dessins : Dominique Bertail
Editions : Rue de Sèvres
Année : 2019
Nombre de pages : 72
Résumé :
Paris 2119.
Paris n’est que grisaille, bitume et technologie. Le contact humain n’existe plus et la procréation se fait par clonage. De plus à des fins de sécurité renforcée, myriade de drones effectuent des contrôles, et le transport ne se font quasiment plus que par téléportation via l’invention révolutionnaire le Transcore.
Mais dans ce monde futuriste subsistent quelques vestiges de la splendeur de l’ancien temps comme certains monuments, ou le métro et les trains…, hélas plus réservé aux laissés pour comptes et aux démunis, et bien sûr aux contestataires marginaux nostalgiques des belles années comme Tristan Keys…
Mon avis :
Zep réitère dans le domaine de la fiction, après le fabuleux « The End », il nous imagine ce coup-ci la « Paris » du futur.
Mais pour cet ouvrage, Zep n’en est que le scénariste.
Le dessin a été confié à l’excellent artiste Dominique Bertail !
L’idée de cette histoire est venue à Zep simplement en se baladant dans les rues de Paris, en amoureux qu’il est de cette cité.
Il s’est alors questionné sur ce que Paris pourrait être devenu dans 100 ans, tout en essayant de garder le coté éternel de la plus belle capitale au monde.
Et son tableau n’est, hélas, pas des plus optimistes, sans tomber non plus dans le tragique.
Le sujet est particulièrement accès sur le transport et le progrès, bien qu’il y ait une belle histoire d’amour dans le fond.
Les rues de la ville se retrouvent presque désertes, ceci dû en grande partie à l’invention du Transcore.
Un progrès révolutionnaire, provenant d’une bonne intention, qui a eu hélas aussi son côté négatif.
Tout comme la comparaison, admirablement bien expliquée par Zep lors d’une interview, à l’invention de l’automobile qui nous a maintenant pollué notre planète…
Page 1 de la BD |
Quand à Paris elle-même, elle nous est représentée dans une grisaille presque perpétuelle, mais l’interprétation reste ultra conservatrice.
La science-fiction ne transpire donc pas en parcourant et en observant l’architecture de cette ville contemporaine dessinée.
D’ailleurs les inspirations de Dominique Bertail furent nombreuses et travaillées.
Dans cette même interview il déclare avoir voulu imaginer plusieurs strates d’urbanisme afin de rendre cette Paris évoluée crédible.
Pour cela il s’est inspiré des courants d’urbanisme des années 80-90 très souvent radicales, minimalistes ou conceptuels à l’image des Sol Levitt ou Daniel Buren (référence de D.Bertail).
Coté dessin, Dominique Bertail reconnait avoir de grandes influences de Moebius et évidemment aussi Enki Bilal que l’on retrouve particulièrement dans cet ouvrage, mais malgré cela son dessin a tout de même son identité bien propre.
Le trait est fin et superbement détaillé dans un style réaliste.
Les couleurs sont sur une dominante grise ou marron, plutôt dans le terne, pour mettre en avant la monotonie des paysages urbains et du climat.
Les pages d’intérieur, comme les appartements ou clinique, sont plus chaudes et rendent même une ambiance quasi aseptisée contrastant catégoriquement avec les « vestiges » extérieurs de Paris.
Page 5 de la BD |
Ce que Dominique Bertail a le plus soigné, c’est probablement ces protagonistes principaux et leur relation. Les deux amoureux sont des contraires : Lui (Tristan) est un nostalgique du XXème siècle, rebelle et rock’n roll, elle (Kloé) est une femme d’affaire belle, puissante, et sûre d’elle.
Dominique Bertail livre dans une interview, avoir réalisé en premier toutes les cases de la BD n’ayant pas Kloé de représentée car il ne voulait pas la rater… Et le pari est tenu.
Cette femme couleur ébène est juste magnifique, sans défaut ou presque…
Et l’amour entre ces deux personnages est difficile surtout quand le clonage est de mise pour faire un enfant.
Lui souhaiterait revenir au naturel et procréer au gré des hormones, elle ne jure que par le progrès, pour un clonage et éviter les douleurs des accouchements…
Les arguments de ces deux tourtereaux sont évidement compréhensibles et justifiés dans le contexte de l’histoire.
Ces deux-là s’aiment beaucoup, alors quand Tristan découvre le pot aux roses, il s’en inquiètera et enquêtera pour finir par prendre la décision qui s’impose…
Et de fait, le lecteur sera lui aussi préoccupé pour l’avenir du couple, sa santé et son bonheur…
Les mises en scène et le découpage sont superbement réalisés, très aérés, simples et grandioses à la fois. Les vignettes, quatre ou cinq par pages en moyenne, sont de toute beauté.
Le spectacle de Paris, même avant-gardiste, reste exceptionnel ! On sent que les auteurs y vivent et/ou y ont vécu et en gardent une belle nostalgie.
Page 3 de la BD |
En bref, à travers cette fiction, Zep et Dominique Bertail nous offre un regard très critique sur ce que pourrait être notre futur si l’on ne fait pas attention à ce que l’on fait.
Une société très individualiste où la chaleur humaine disparait peu à peu et notre environnement se dégrade, cachant des dangers insoupçonnés et ù les porteurs de sagesse et de vérité passent pour des marginaux dangereux… et se retrouvent exclus.
A noter qu’il existe deux version de cette BD, la version classique couleur (déjà superbe), et une version plus collector au lavis (et là c’est le summum !)
C’est une belle lecture qui fera réfléchir.
La fin peut paraitre « bâclée » mais en prenant du recul et en réfléchissant un peu, au final, elle ne l’est pas du tout. Cette histoire ne pouvait que finir comme cela.
Le récit en est tellement passionnant qu’il évidement naturel que la déception soit de mise en arrivant sur les dernières pages…
Et c’est finalement cela qui prouve que c’est une bonne BD, car elle nous véhicule de l’émotion, des sentiments, de la frustration et nous amène à porter un autre regard sur la société et notre avenir vis à vis des gens que l’on aime, de nos enfants, de notre famille…
Ciao
Yann
Et voici quelques photos prises par mon ami Juju Gribouille lors de la conférence de presse d’Angoulême :