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Jun, une BD qui résonne avec justesse
Titre : Jun
Auteur : Keum Suk Gendry-Kim (scénario et dessin)
Éditeur : Delcourt
Collection : Encrages
Année : 2020
Page : 256
Résumé d’un témoignage touchant:
Yusun retire les cheveux blancs à son frère Jun. Celui-ci a quelques difficultés à se tenir immobile. Yusun l’aide à trouver la bonne pose et lui parle doucement. Elle se rappelle l’anniversaire de ses un an. L’époque où ses parents avaient du mal avec son grand frère qui ne parlait pas…
Scénario d’un récit basé sur des moments de vie:
Il faudra du temps aux parents de Jun pour arriver à communiquer avec lui, c’est ce temps, ces joies, ces échecs, ces avancées, ces décisions lourdes à prendre que nous raconte cette BD, tout cela vue du point de vue de Yusun, la petite sœur qui, elle aussi, va grandir plus vite que prévu. Jun a des difficultés à communiquer avec son entourage, il est autiste. Mais à l’époque, ce diagnostic n’était pas simple à obtenir, Jun était différent et ses parents se battaient pour qu’il puisse avoir une vie normale. Mais même lorsque le verdict tombe, il a été difficile pour eux de l’accepter, il voyait l’autisme comme une maladie dont on guérit. Il existait forcément un remède, une solution.
Comment avancer, comment s’occuper d’un enfant autiste, comment l’emmener à l’école, et puis à quelle école, comment le rendre autonome, sans craindre en permanence qu’il lui arrive quelque chose, comment lui apprendre à lire, à parler, comment le comprendre, et comment se faire comprendre ?
Autant de questions auxquelles chaque famille doit trouver ses réponses. Et nous découvrons celles de la famille de Yusun tout au long de ces pages. Parfois, tout se joue sur un rien. Une personne que l’on consulte et qui donne un bon conseil, qui changera la vie de Jun. Pour cet enfant, ça aura été la recommandation de faire de la musique plutôt que de la piscine. Et la différence se fera là. La musique va débloquer Jun sur plusieurs points et lui permettre d’avancer dans la vie. Certes, il est toujours autiste, mais il a trouvé une porte d’expression, un langage familier.
Les années passent et on voit Jun grandir, cette famille comme les autres qui se confronte à un problème pas comme les autres évolue, apprend à vivre avec Jun mais aussi à vivre ensemble. Il faut gérer Jun, mais on s’aperçoit que Yusun aussi est impactée depuis l’enfance. Un malaise se crée qu’elle va apprendre à gérer avec le temps. Aujourd’hui, Jun et Yusun sont des jeunes adultes entrés dans la vie. Mais Jun n’est pas complètement indépendant et ses parents veillent sur lui. Sa sœur aussi. Et de nouvelles questions se posent alors que l’on referme cette BD. Comment va se passer la vieillesse de Jun, qui sera là pour l’aider quand ses parents ne seront plus ? Quel sera l’avenir de Yusun et Jun ? Autant de questions encore lourdes mais balayées d’un revers par Jun lui-même, dont la réponse finale est la plus belle que l’on peut faire.
Par touches sensibles, l’auteure choisit des moments de vie, des moments forts ou des tranches du quotidien, pour construire ce récit où nous suivons Jun, par les yeux de Yusun, grandir et apprendre. Tout comme sa sœur apprend elle aussi. Drame, joie, colère, tristesse, bonheur, on navigue entre des émotions diverses dans la vie mouvementée de cette famille qui s’adapte tant bien que mal à la situation, et qui se resserre autour de Jun.
On peut se réfugier derrière le fait que cette histoire se passe en Corée du Sud mais en fait, elle est internationale. Quelque soit le pays, il n’est pas dit que l’accueil de l’autisme se passe différemment.
Le dessin à l’encre:
Keum Suk gendry-Kin a écrit cette histoire après avoir rencontré de nombreuses fois Jun et sa famille. Elle la dessine aussi avec talent. Le noir et blanc, le travail à l’encre est très beau. Les personnages stylisés de manière originales demeurent très attachants. Le noir et blanc sans gris, jouant sur les contrastes, permet des images fortes. Keum Suk Gendry-Kim s’autorise aussi à changer de style parfois, à sortir du cadre qu’elle s’est donnée, pour ouvrir la porte à un graphisme plus léger, plus réaliste. Les décors sont présents mais la plupart du temps disparaissent et laissent l’espace aux personnages pour s’exprimer sur des grands fonds blancs. Les compositions simples font ressortir un décor, un arbre, une partition. L’auteure sait jouer de son pinceau pour nous offrir un récit simple graphiquement, mais aéré. La mise en scène reste auprès des personnages le plus souvent, nous rappelant l’importance de leur sentiment. Elle réussit à rendre le mystère du monde de Jun, à nous en ouvrir parfois les portes.
Le regard de Jun qui part ailleurs, dans les nuages, sa manière de se tenir, ses mains aux doigts qui se tendent, autant de postures, de gestes qui marquent tout de suite sa différence. Et pourtant, nous sommes très proches de lui. Le tour de force réussi consistait à ne jamais présenter Jun comme un étranger par sa différence. Bien au contraire, ce sont ceux qui le rejettent qui nous apparaissent comme des étrangers, créant ainsi de l’empathie pour Jun et sa famille.
Conclusion d’une histoire sur la différence et son acceptation:
Cette BD réussie nous permet de mieux comprendre la vie d’un autiste mais aussi celle de ses proches. On s’aperçoit également du regard des autres, de la société sur cette différence. Beaucoup de chemin reste à faire, et on sait que pour un Jun qui a trouvé une manière de s’exprimer avec la musique, dix autres enfants autistes ne parviennent pas à trouver une porte sur le monde, faute du bon conseil au bon moment. Jun permet de nous faire comprendre des choses sur l’autisme, celles qui sont dites, mais aussi celles qui sont sous-entendues. En portant un regard honnête sur une vie difficile, Keum Suk Gendry-Kim nous offre un très beau témoignage.
Zéda rencontre Jun.