La Maison
Paco Roca
Delcourt
: Mirages
2016
: 128 pages
vieil homme fait un malaise dans sa demeure.
un écrivain, et sa femme arrivent dans cette maison, laissée à
l’abandon. Cela fait un an que le père est mort, c’était lui le
vieil homme du début.
contact avec les lieux de son enfance, l’écrivain va retrouver des
souvenirs du passé, puis son frère Vicente et sa soeur Carla vont à
leur tour faire le pèlerinage dans ce lieu, pour le « préparer
à la vente ».
travers de sauts dans le passé, c’est l’histoire d’une famille qui
se dessine, avec les questions sans réponse, les incompréhensions
et les non-dits laissées par le décès d’un proche…
avis :
Roca nous emmène dans un récit doux-amer qui parle de la famille,
de la transmission et des souvenirs. Le père a fait sa vie en
pensant à ses enfants, qui se sont peu à peu éloignés. Et
maintenant qu’il est mort, ils se retrouvent, là, dans cette vieille
maisonnette. La maison est le lieu qui les relie tous. Souvenirs
d’enfance joyeux, traces du quotidien, certains veulent la garder,
d’autre pas. Que va-t-il se décider ? Ce n’est pas le plus important
ici. Ce qui compte, c’est de retrouver un passé perdu, dévoré par
le quotidien et son urgence à faire les choses, « à ne plus
avoir le temps des choses simples ». Finalement, on se rend
compte que « on ne prend plus le temps de… ».
sensation, nous l’avons tous vécu et c’est pour cela qu’elle est
d’autant plus frappante dans ce récit. Cette maison porte les
souvenirs des réussites mais renvoie aussi aux échecs.
douceur de l’histoire se sent dans la narration, dans le temps de
s’arrêter sur un arbre, un tuyau, des feuilles, un panorama. Le
temps d’échanger pour un couple sur leur vie.
côté amer vient des regrets et des tensions qui vont ressortir dans
cette famille. Le plus amer étant qu’on ne peut plus revenir en
arrière. Il n’y a pas moyen de refaire le passé, ni même de le
revivre. Il faut accepter que le passé « n’est plus que pour
avoir été », comme disait le poète. Il reste dans nos
mémoires, tant que nous prenons un temps pour nous en souvenir…
Cette
découverte va être vécue par les trois enfants du père décédé.
Paco Roca prend avec une sensibilité minutieuse le temps de nous
parler de cette famille, ou plutôt de les laisser nous parler d’eux,
dans le présent, le passé, et surtout dans cette maison qu’on ne
quittera pas de toute l’histoire.
le lieu de l’intrigue et c’est le lieu unique du récit. Seul
quelques flashbacks permettent de s’en éloigner.
en gardant le même lieu, l’auteur parvient à nous donner différents
points de vue sur la vie. Nous partageons des moments avec chacun des
enfants et avec le père, en tout cas, avec le père qu’ils
imaginent. Cet homme décédé, nous en découvrons les facettes par
les souvenirs partagés de chacun de ses enfants. Mais même ainsi,
nous n’avons pas de réponse, même en assemblant les pièces du
puzzle, nous découvrons qu’il nous en manque encore beaucoup. Les
souvenirs réunis de José, Vincent et Carla ne suffisent pas à
recréer la totalité d’un homme. Même ceux du voisin, Manolo,
restent parcellaires. Le portrait d’un homme tient plus qu’au
souvenir de ses proches. C’est aussi un peu comme cela que nous est
présentée cette maison. On ne la voit jamais en entier, rarement
mais surtout, on ne la voit jamais dans son terrain en entier, de
même qu’on ne verra jamais pleinement la vie du père, ce qu’il
pouvait penser. Cette maison à laquelle il tenait tant, nous ne la
verrons jamais complètement car nous sommes trop proches, nous y
sommes collés comme y est collée la famille qui doit gérer ce
deuil, même un an après. Cette maison qu’aucun d’eux n’oubliera,
cette maison, que Paco Roca dessine à merveille.
maison, l’auteur a su lui donner l’impact du temps aux différents
âges de sa vie. En construction, habitée par toute la famille,
habitée par le père seul, à l’abandon, en nettoyage, elle est là,
bien vivante. Un dessin de personnages semi-réalistes. José et les
siens ont des visages stylisés mais expressifs, des poses du
quotidien qu’on reconnaît tout de suite. Portable à l’oreille, en
train de monter une échelle, de regarder l’horizon, on s’attache
vite aux membres de cette famille au travers de leurs attitudes
simples, quotidiennes.
personnages contrastent avec un décor totalement réaliste, renforcé
par ces couleurs chaleureuses ou plus froides qui reflètent bien les
différentes saisons qui passent sur la maison.
couverture rend bien cet été écrasant, ce soleil du sud qui frappe
et étend les ombres. Cette ambiance simple, vous la ressentirez tout
au long de l’histoire. Des différences de couleurs permettent de
séparer tout en finesse les passages du présents au passé. Ce sont
même les seuls repères permettant de remarquer l’enchaînement.
composition est assez symétrique. Pour marquer ce temps qui passe
lors des discussions, Paco Roca joue sur une répétition de la
composition dans la page. Soit des enchaînements de case identiques
où les personnages sont quasiment dans les mêmes positions, aux
expressions près, soit des cases différentes définissant un schéma
– par exemple, une grande et une petite – mais se répétant sur
la page. Et cela fonctionne à merveille.
cadrages sont aussi simples même si parfois les cases sont assez
petites à certains moments. Le fait que la BD soit dans un format à
l’Italienne, ou paysage si vous préférez, joue probablement
là-dessus. Paco Roca alterne avec aisance des plans sur les
personnages et des inserts sur les objets de la maison, le tuyau
d’arrosage qui coule de plus en plus faiblement jusqu’au goutte à
goutte ou encore un écureuil qui tient une noisette sur une branche,
avant de se faufiler dans le feuillage.
composition joue aussi sur des belles pages comme celle de l’arbre
généalogique ou celle du tracé de la maison.
si la maison est omniprésente, la nature a une belle place. La
nature qui reprend ses droits dans la maison, les racines qui crèvent
les pots mais aussi le terrain autour de la maison, les arbres que le
père souhaite – ou souhaitait – faire pousser. Cette histoire
coule aussi lentement que la rivière que l’on regarde assis sur la
berge. Les émotions flottent et vous happent à certains moments.
Tout en douceur…
Roca nous offre un beau tableau de famille fonctionnant par touches
impressionnistes, où beaucoup de choses fonctionnent en
sous-entendus, affleurant à la surface le temps d’une case, ou le
temps de cette gouttière qui sépare deux cases.
passez pas à côté de cette maison, une histoire si simple en
apparence, mais porteuse de tellement d’idées…
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