Dès 2009, un nouveau format numérique de la bande dessinée fait son apparition, sous l’impulsion d’Yves Bigerel, le Turbomédia.
L’objectif de cet article est de vous présenter ce format numérique, pourquoi ce format numérique fascinant a peu à peu sombré dans l’oubli face à la production omniprésente du webtoon. Et pour quelles raisons devrait-il être connu davantage ?
Sommaire de l'article
Qu’est-ce qu’alors que le turbomédia ?
Yves Bigerel, plus connu sous le nom de Balak et créateur du site Turbo Interactive, explique ce qu’est le turbomédia. Les possibilités démontrées dans son About Digital Comics montrent la fluidité de l’action grâce à l’intervention du lecteur.
Il démontre que le récit numérique joue sur la surprise des évènements à venir : « Il illustre toujours cette tension narrative où les images apparaissent à chaque clic du lecteur, ce qui crée des possibilités de juxtaposition de vignettes au sein de l’interface sous formes de calques. Ainsi au niveau narratif, le turbomédia peut s’amuser sur la surprise et les transitions immédiates. » (1°). Mais quel que soit le récit, sur un support papier ou numérique, c’est la manière de la raconter qui compte.
Le fonctionnement et les possibilités créatives du turbomédia
Par la mise en scène et le cadrage, les dessinateurs s’inspirent donc des codes de l’animation voire du cinéma. Ils peuvent faire apparaître des cases les unes après les autres. Ainsi, le processus de création devient riche en idées visuelles et expérimentales. Par son format numérique, le turbomédia entretient quelques liens avec le webtoon. Comme le fait de découvrir le récit d’une case à une autre, et ce à travers un espace de lecture. En l’occurrence à travers votre écran de smartphone, de tablette ou d’ordinateur.
En témoigne ce turbomédia, Le jour ne meurt jamais, où le lecteur fait avancer le temps par son clic de souris. La nuit qui tombe se déroule sur la même case, comme une scène dans une BD au format papier mais où les cases se multiplient. Ici, le décor reste le même mais il change de couleur et de lumière à chaque clic du lecteur.
Dans cette situation, le lecteur se concentre plus facilement sur sa lecture plutôt que devant une page entière d’une bande dessinée. Les nombreuses cases peuvent gêner la concentration pendant une lecture.
Il est possible toutefois d’utiliser la planche de bande dessinée entière pour narrer son histoire. C’est une autre méthode pour montrer les prochaines cases afin de faire découvrir au lecteur les prochaines vignettes. Dans Sleeper, chaque éclair devient la bordure stylisée d’une case. D’autant plus que cela ajoute au dynamisme de cette scène d’action.
En ce qui concerne le processus de création, l’auteur peut simplement reprendre les cases d’une bande dessinée papier comme Tortuga, et l’adapter pour ce format numérique. Il affiche par clic de souris chaque case avec ses dimensions respectives du format papier.
C’est alors que le turbomédia est considéré comme un « livre » numérique auquel vous passez d’une image à une autre. Tel le système d’un diaporama, le lecteur utilise les flèches directionnelles ou la souris pour connaitre la suite et faire avancer le récit. L’aspect interactif du turbomédia permet de le parcourir à son rythme. Ce n’est pas le même rapport avec des images d’un dessin animé qui s’enchaînent les unes après les autres. Et ce, sans l’intervention du spectateur qui reste passif : « Et surtout, le rythme ressenti ne dépend pas exclusivement du temps de l’action ni de la vitesse de lecture, mais se construit par la mise en tension de ces deux temporalités différentes. » (2°)
Distinction du turbomédia par rapport au webtoon
Le turbomédia se distingue alors du webtoon de plusieurs manières. Il démontre d’abord une nouvelle forme de bande dessinée, qui peut réinterroger la place de l’animation et sa pertinence. Au niveau de la narration et de son rythme, l’image animée qu’elle soit saccadée ou fluide, doit servir justement l’histoire et ne pas devenir un simple gadget. L’animation dans un dessin animé ou une adaptation d’un manga en un anime ne joue que sur le mouvement des personnages et l’action. Qu’il s’agit d’une animation qui se répète sans cesse (exactement comme pour l’image GIF) ou des codes visuels propres au cinéma dont le travelling (mouvement de la caméra vers une direction), et les transitions en fondu. Avec ces codes narratifs, on se rapprocherait plus d’un point’n’click sans le son ni la musique ou la voix des personnages.
Comme dans Full Throttle, il serait question d’avoir un plan fixe mais sans pouvoir interagir avec les éléments d’un décor. Juste la possibilité de passer à l’image suivante par l’intermédiaire d’un bouton ou d’un clic de souris. Le lecteur reste toujours acteur de sa lecture, et non spectateur. Voyez le turbomédia comme un visual novel (3°), qui fonctionne aussi comme un diaporama.
Il reste une dernière étape, et surtout le problème du turbomédia. Son auteur rassemble toutes ses vignettes dans un dossier avec un logiciel comme LemonSlide (conçu par Goliver). S’il souhaite mettre son turbomédia sur un blog, il faudra être prêt à coder son site internet. Il peut aussi utiliser un logiciel ou un site comme Google Slide.
Vous l’aurez compris, l’accessibilité à la création d’un turbomédia peut irriter certains dessinateurs (voire beaucoup). Quant au webtoon, le format vertical en est sa force. Simple d’accès et à diffuser. Ce qui explique un grand nombre d’utilisateurs vers cette bande dessinée numérique, ainsi que les auteurs voulant y exporter leurs récits graphiques, à travers les plateformes dédiées.
Au final, est-il encore possible de créer et diffuser du turbomédia, ce format mixant la bande dessinée, l’animation et le jeu vidéo ?
Problématiques et solutions autour du turbomédia
Aujourd’hui, il n’y a que le site Turbointeractive.com où il est possible de s’inscrire pour envoyer sa création. Un autre site comme Les-auteurs-numériques.com propose également du turbomédia, mais il est impossible maintenant de se connecter. Il fournit néanmoins un bon nombre de BDs numériques de qualité. Les 23 et 25 heures de la bande dessinée sont des marathons dédiés à ce médium, qui proposent la création des turbomédias durant un temps imparti.
En dépit de la baisse de ce genre de création ces dernières années, le turbomédia reste au stade de création expérimentale avec des récits courts. De rares auteurs de turbomédia comme Emrad avec son récit Djinkans, les chroniques de la Grande Chasse, continue à nourrir son univers avec son lot de péripéties.
De nombreuses possibilités créatives existent réellement avec le turbomédia. S’il veut dépasser ce statut expérimental et concurrencer le webtoon, il faut réfléchir sur de nouvelles plateformes pour publier ce format numérique. Par exemple, le commercialiser comme un ebook. On peut penser à la bande défilée Phallaina de Marietta Ren, sous la forme d’une application gratuite.
Ou encore If Found… de l’éditeur Annapurna Interactive. Même en étant un récit interactif, la mise en scène et l’affichage du texte font penser au turbomédia et à toutes les possibilités qu’un auteur numérique peut utiliser.
Conclusion
Au delà de TurboInteractive.com et la possibilité de publier librement son récit numérique, les acteurs de ce format doivent réfléchir sur la valeur de leur propre travail. À travers l’écriture d’une histoire riche en expérimentations visuelles. Mais également sur la vente et pas seulement la publication du turbomédia. Ce qui pourra faire dépasser le stade de court récit expérimental de ce dernier.
Merci d’avoir lu mon article, sur une forme de bande dessinée que je trouve fascinante. Avez-vous déjà lu du turbomédia ? Quels ont été vos retours vis-à-vis de ce format numérique ? Désirez-vous en lire davantage ? N’hésitez pas à déposer vos commentaires.
À bientôt pour de nouvelles chroniques.
Paprika
Sources
Le site web d’Emrad et ses « Djinkans » : https://emrad-creations.com/
Le site des auteurs numériques : https://les-auteurs-numeriques.com/bd/
Sources papier :
(1°) Curey Alexandre, La bande dessinée hybride, Rennes, Université Rennes 2, 2020, p.70
(2°) Rageul Anthony, Bande dessinée saisie par le numérique : Formes et enjeux du récit reconfigurés par le numérique, Rennes, Université Rennes 2, 2014, p. 245 (version numérique)
(3°) « Visual novel » : type de jeu vidéo, traduit en anglais de « Roman vidéoludique ».