vendredi 29 mars 2024

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Les indésirables de Kiku Hugues aux éditions Rue de Sèvres

Les indésirables de Kiku Hugues aux éditions Rue de Sèvres

Titre : Les indésirables

Scénario et dessins : Kiku Hugues
Editions : Rue de Sèvres
Année : 2021
Nombre de pages : 247

Résumé de « Les indésirables » de Kiku Hugues : 


2016 : Kiku, jeune fille de 16 ans vivant en Amérique, issue d’une famille aux origines japonaises, est en voyage à San Francisco avec sa mère pour retracer le parcours de sa grand-mère maternelle. 
Alors qu’elles cherchaient la maison de leur ancêtre, celles-ci tombe sur un centre commercial en lieu et place de l’adresse en question.
Kiku décide de s’octroyer une pause pendant que sa maman part faire les boutiques. Lors de cet intermède, kiku se retrouve magiquement projetée dans un concert donné par certaine Ernestina Teranishi.
Kiku se rend compte que quelque chose cloche. Elle a l’intime conviction d’être dans le passé et d’avoir vu sa grand-mère interpréter le morceau… mais ce qui l’a le plus choqué a été un mot anti japonais accroché sur l’entrée d’une école, en sortant du théâtre. Kiku revient alors dans le présent. Elle pensait n’avoir que rêver.
Mais sur le chemin du retour à Seattle avec sa mère, une nouvelle projection lui arrive…
Les étranges évènements qu’elles vit font ainsi échos aux projets de Donald Trump contre l’immigration, et/ou pour prévenir du terrorisme, qui inquiètent sa mère.

Ainsi, par des successions de projections dans le passé, Kiku va vivre le périple que sa grand-mère a vécu en regards des fameux camps de détention des japonais et/ou des nippo-américains, sur le sol américain dès 1942 suite au bombardement de Pearl Harbor par l’empire du soleil levant…

Mon avis sur « Les indésirables » de Kiku Hugues:


Kiku Hugues raconte avec ce récit une partie sombre de l’histoire américaine peu connu, probablement effacé par les atrocités vécus lors de la seconde guerre mondiale sur un autre continent.
A travers une fiction bien orchestrée tel un voyage dans le temps, elle nous détaille peu à peu cette période vécue par sa grand-mère maternelle.

Les indésirables de Kiku Hugues aux éditions Rue de Sèvres page 64
Page 64 extraite de la BD


Kiku Hugues, donc par un jeu de voyages dans le passé purement surnaturels mais à la technique bien rodée, conte l’histoire et le traitement de ce peuple nippon émigré, après la déclaration de guerre du Japon aux Américains par le bombardement de Pearl Harbor en 1941.
L’auteur insiste particulièrement sur les sentiments probablement ressentis par les captifs de ces tristes camps de détention (pour ne pas les appeler camps d’internement ou camps de concentration). 
On y devinera ainsi entre autre de la peur, de l’humiliation, de l’incompréhension, de l’indignation, de l’indifférence, mais à l’inverse aussi de l’amitié, de la solidarité, de l’entraide, de la patience, de la résignation, de la tolérance etc…
Ce scénario révèle la magie de la conscience humaine, de sa psychologie et son cognitif, de la faculté à se reconstruire et refonder les communautés quand le malheur frappe.
Ce qui est aussi remarquable dans ce script, c’est que l’auteure n’accable en aucun cas les USA, elle se contente simplement de raconter ce que cette communauté a pu ressentir.
Cependant, habilement et discrètement, Kiku Hugues évoque tout de même en parallèle de son récit, certains discours du président Trump, pour éveiller les consciences et interpeller le lectorat sur l’impact d’une telle politique qui n’a rien de nouveau car elle fut appliquée par le passé à l’égard des Japonais et autres peuples… 
De ce fait, à la réflexion, cela devient donc très critique et moralisateur mais toujours en faisant preuve bienveillance et surtout sans animosité.
Au-delà de la leçon d’histoire et de l’avertissement politique, cette œuvre est aussi une quête de sens de la part de l’auteur, sur ses origines et ses valeurs, une sorte d’introspection sur sa famille pour ainsi trouver sa place dans la société dans laquelle elle vit. 
Elle porte une réflexion pertinente sur son vécu et notament sur ses faibles connaissances des traditions, de la culture ou de la langue de son pays d’origine. 
Les tragiques évènements relatés y sont pour beaucoup car ils ont fracturé et dispersé la communauté nikkei
Ils ont encouragé les anciens à ne pas se faire remarquer à trop exposer leurs ascendances et leur culture, ne pratiquer que trop peu la langue japonaise pour ne pas passer pour un conspirateur ennemi etc… 
En bref, la résultante de ce traumatisme en est donc une perte regrettable d’un patrimoine populaire au gré des générations.
Le discours politique anti racisme prend donc encore plus de poids après cette analyse et le travail de mémoire semble donc absolument nécessaire pour éviter de commettre à nouveau les erreurs du passé, mais aussi d’affirmer positivement son identité et ses différences.

Les indésirables de Kiku Hugues aux éditions Rue de Sèvres page 66
Page 66 extraite de la BD


Coté dessin, Kiki Hugues reste synthétique. 
Pas de chichi, elle va à l’essentiel. 
Ce dessin que je qualifierai de moderne peut ne pas plaire.
Peu de détails dans les compositions, tout est simplifié, épuré, parfois géométrique, stylisé et à la limite du conceptuel mais le rendu est cependant fort et puissant.
Les pages sont ainsi aérées et donc très facilement lisibles.
Ce concept nous permet de nous concentrer essentiellement sur la narration et les expressions des personnages, afin de mieux saisir les faits exprimés et les émotions des protagonistes.
La projection devient alors très efficace, et nous voyageons dans l’histoire au même titre que l’héroïne.
Le travail essentiellement informatique des mises en scène, et mises en page, nous saute aux yeux. 
Les cases sont régulières et linéaires, les aplats de couleurs tous presque remarquablement uniformes, les traits souvent trop rectilignes, les perspectives convergent impeccablement vers le ou les points de fuite, etc…
L’ensemble est presque trop « parfait ».
On imagine alors l’énorme patience que la dessinatrice a dû déployer pour obtenir une netteté sans pareille.
Les couleurs sont neutres et plutôt très claires dans l’ensemble. 
Elles correspondent incontestablement à ce besoin de bienveillance et de ne pas choquer le public. 
Et cela est très équivoque en regard ce qui a été dit précédemment : le fait de ne pas vouloir trop se faire remarquer…

Les indésirables de Kiku Hugues aux éditions Rue de Sèvres page 63
Page 63 extraite de la BD


En bref, cette BD reste essentielle pour connaître encore une facette historique sombre d’un pays puissant qui se devrait d’être exemplaire aux yeux de la planète, en regard des évènements qui l’ont construit. 
Mais apparemment la réalité nous montre qu’il en est tout autre, l’ignorance et la bêtise gagne du terrain partout, mais heureusement ce genre d’ouvrage effectue admirablement bien un devoir de mémoire indispensable.

Ciao
Yann
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Yanndallex
Yanndallex
Je suis évidemment un passionné de BD depuis ma jeunesse. Un malheureux accident de vélo ma valu quelques jours d’hospitalisation. Ainsi ma famille, pour me faire passer le temps à l’hopital, m’offrit des exemplaires de la série des Tuniques Bleues. Cette série a été une révélation ! J’étais émerveillé de pouvoir lire des histoires humoristiques liées à des évènements dramatiques (la guerre de sécession, le racisme etc…). Je me régalais à suivre les aventures de mon personnage favori le caporal Blutch. Puis vint la pleine adolescence pour découvrir des séries plus sérieuses, ou toujours humoristiques, d’héroïque fantasy, SF ou policières (XIII, Thorgal, la quête de l’oiseau du temps, le grand pouvoir du Chninkel etc…). J’y ai découvert ainsi des styles graphiques plus travaillés, détaillés, réalistes, poétiques etc… une deuxième révélation pour m’ouvrir progressivement à la bd adulte. A ce jour j’aborde chaque nouvel ouvrage comme une surprise, une promesse d’une belle histoire, que l’on aime, ou que l’on n’aime pas. J’ai pris conscience au cours des années qu’une histoire illustrée de 48 pages, ou plus, n’était pas si facile à créer de manière scénaristique mais surtout graphiquement. Le talent n’est pas inné, et à chaque vignette, je contemple d’autant les années de travails des auteurs. J’admire les techniques graphiques (que je ne soupçonne parfois pas du tout), les choix de couleurs ou du noir et blanc, le travail sur les mises en lumière, la conception des mises en scène, le choix des plans, des effets, des perspectives, le découpage élaboré, les transitions des plans séquences etc… Bref mon œil s’est avisé, mais je n’en reste pas moins admiratif du travail réalisé et des sacrifices réalisés par chaque artiste pour offrir du plaisir à son lectorat, et cela même si l’histoire ne m’a pas forcément plu. J’aime aussi souvent à chercher d’où a pu venir l’idée de l’histoire, très souvent inspirée de fait divers, ou de l’histoire avec un grand H. Je suis aussi toujours émerveillé par la diversité des sujets traités par ce média. Cette disparité permet des livres souvent très intimes avec des témoignages poignants et durs, mais aussi de s’enrichir culturellement, s’ouvrir à des expériences inattendues, parfois loufoques et hilarantes, etc… Et elle nous promet encore de grande œuvres !!

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