Dans sa première BD, « La Route du Bloc« , à mi-chemin entre reportage documentaire et roman graphique, Lisa Sanchis (interview à lire ici) nous immerge avec intelligence et pédagogie au cœur du système hospitalier français en nous faisant suivre le parcours d’un chirurgien en devenir.
Titre: La Route du Bloc: Une vocation à l’épreuve du réel
Scénario: Lisa Sanchis
Dessin et couleur: Lisa Sanchis
Editeur: Delcourt
Collection: Hors Collection
Année: 2022
Pages: 208
Sommaire de l'article
La Route du Bloc: une œuvre entre bande dessinée et reportage graphique.
Naissance d’une vocation…
« Maman, Maman…
c’est ce travail là que je veux faire! »
La Route du Bloc, page 13
Un malaise cardiaque peut-il changer le cours de votre vie?
Bien sûr me répondrez-vous!
Mais si ce malaise devait survenir sur un parfait inconnu, alors que vous n’êtes qu’un tout-petit, assis dans le siège d’un caddie, aux premières loges pour assister, bouche et yeux béants, au ballet des secours se battant pour la survie de l’homme?
La réponse est bien moins évidente…
C’est pourtant ce qui a déclenché, chez le très jeune Benjamin, une vocation qui ne le lâchera plus: devenir médecin et en particulier chirurgien.
Une vocation, certes, mais avant tout un parcours du combattant, une mise à l’épreuve constante des ressources, aussi bien mentales que physiques, de celleux qui n’ont comme volonté que de soigner et sauver autrui.
Une vocation à l’épreuve du réel.
Après l’obtention du sésame pour engager des études médicales, le « PACES », ce seront quatorze années de souffrances, de doutes, mais aussi de moments de grâce, de rires et de joies immenses qui vont se succéder.
En pleine période de crise de l’Hôpital Public, Lisa Sanchis dresse, au travers de Benjamin, le portrait de femmes et d’hommes qui donnent les meilleures années de leur vie à une formation terriblement exigeante… et parfois parsemée de son lot d’injustices, afin d’atteindre un rêve: devenir chirurgien•nes.
Elle réussit cette gageure en se plaçant dans le costume d’une reportrice… pas si éloignée du travail qu’elle aurait pu faire sur un champ de bataille, car, ne nous leurrons pas, l’hôpital en est devenu un.
A l’aide de l’humour, toujours présent mais jamais central, elle nous fait traverser à leurs côtés les épreuves de ces éreintantes années de formation, sans rien nous cacher des manques criants de l’Hôpital Public français, mais aussi d’un milieu très codifié, souvent maltraitant… et dont la plupart d’entre nous n’a pas les codes.
Pédagogique, émouvant et drôle, équation impossible?
Justement, et c’est pour moi la plus grande force de cette BD, Lisa Sanchis fait preuve d’une extraordinaire pédagogie pour ne jamais trop simplifier son propos mais nous le faire comprendre grâce à des analogies, souvent issues de la pop-culture, et permettre aux nombreux béotiens, dont je fais partie, de ne jamais être perdus, que ce soit dans le vocabulaire médical comme dans celui, étonnamment encore plus complexe, de l’administration hospitalière.
Elle parvient à « faire passer la pilule » de toutes ces procédures et termes barbares via un dessin d’une grande simplicité émaillé de références allant de Musclor à Urgences, de Koh-Lanta aux Barbapapas… et ça fonctionne!
Mais l’autrice ne se contente pas d’écrire ici un excellent ouvrage de vulgarisation sur son sujet, elle arrive, par touches fines et discrètes, à y instiller de l’émotion et on s’attache bien vite à ce Benjamin que l’on craint souvent de voir craquer face à une pression démesurée encore accrue par les manques de moyens humains et techniques auxquels il est confronté quotidiennement dans son métier.
En imbriquant avec finesse parcours de vie et reportage social, Sanchis nous entraîne, à la suite du « rouage Benjamin », dans le complexe et parfois ubuesque engrenage qu’est devenu la machine hospitalière française.
50% graphiste, 50% dessinatrice, 100% douée.
Esthétiquement, la graphiste de profession nous présente ici un dessin épuré sans jamais être simpliste, trait noir et aplats de couleurs, inspiré de la Ligne Claire mais aussi largement influencé par le travail de Lewis Trondheim ou Riad Sattouf. Il est toujours clair, compréhensible et au service de son propos.
Elle s’affranchit néanmoins régulièrement et avec modernité du cadre classique de la case grâce à des planches en double-pages, plus détaillées et complexes, mais où l’on ressent son expérience de graphiste, bien utile pour ne jamais perdre le lecteur. En tant que coloriste de son album, Sanchis choisit un code couleur quadrichromique (noir, vert, jaune, rose-orangé) à la fois simple et bien pensé, dont les aplats aident à rythmer et rendre vivant le récit sans distraire l’attention du lecteur.
Bilan? « La Route du Bloc », un mélange réussi et une autrice à suivre.
Dans ce suivi au long cours d’une vie dédiée aux autres, Lisa Sanchis nous fait prendre conscience de la détresse de ces hommes et femmes à qui nous remettons souvent les clés de notre existence et qui se battent face à un manque de moyens absurde et des conditions de travail souvent iniques. Mais cela sans pathos, car pour ces personnes, c’est avant tout une passion dévorante, un besoin absolu de chercher, soigner, accompagner et, au final, souvent nous sauver qui dirige leur vie et obnubile leurs pensées.
L’autrice nous permet, dans une première BD de grande qualité, de regarder autrement ces blouses blanches et vertes qui nous demandent parfois d’attendre quelques heures de plus dans un couloir d’urgences… et à qui, tout à nos propres soucis, nous ne pensons pas toujours à sourire.
Un joli coup de coeur pour cette jeune autrice dont l’intelligence et le talent me laissent entrevoir une carrière à suivre de près… et que je vous enjoins, à mon tour, à découvrir dans l’interview qu’elle a accepté de nous donner!
On se retrouve bientôt,
Christophe de Objectif Bulles